L’éducation peut s’avérer une tâche ardue surtout si le pupille dont on a la charge n’est pas le nôtre et lorsque l’on est le plus grand détective à l’allure de chauve-souris. Jeff Lemire et Dustin Nguyen, une team créative qui a largement fait ses preuves, est aux commandes du fabuleux Robin et Batman traduit aux éditions Urban Comics.
Richard (Dick) Grayson a perdu ses parents, des trapézistes de cirque, lors d’un accident tragique. L’incident l’a laissé dans un désarroi total et une profonde détresse. Le multimilliardaire Bruce Wayne le prend «sous son aile». L’enfant fait la connaissance du majordome Alfred, du manoir de la célèbre famille de Gotham City et il est inscrit dans une école prestigieuse de la ville. Le môme de 12 ans perçoit également l’envers du décor. Il découvre l’identité secrète de son bienfaiteur, la Batcave et sa croisade vengeresse contre le crime.
La situation s’arrange-t-elle enfin pour lui ? Eh bien non !
Dick a été adopté par Bruce dans l’unique but de former un nouveau soldat, un partenaire dans sa lutte nocturne pour la justice. Alfred est un soutien inconditionnel afin d’encaisser les coups et affronter les épreuves. Grayson traverse une période assez difficile, celle de l’adolescence. Les relations avec le Chevalier Noir sont tendues, le mentor est exigeant et impénétrable. Quand le Dynamic Duo part au combat, il n’y a aucune coordination et solidarité entre eux. Les entraînements, rondes, interventions ou rapports de missions virent au clash. Alfred fait tampon mais pour combien de temps encore ?
Killer-Croc entre dans la danse, les braquages sont une de ses nombreuses spécialités. Il frappe avec férocité et rapidité puis se réfugie dans les égouts après ses méfaits. Lors d’une poursuite, le criminel démasque le garçon. Aurait-il partagé un lointain passé avec lui du temps des spectacles de la famille Grayson ? Désormais, Robin porte une cible sur le front.
Malheureusement, Richard n’écoute rien ni personne, le flying-boy évolue sur un nuage de colère et de frustration. Batman doit remédier à cela sinon son apprenti risque de franchir la ligne interdite. La dureté du monde des adultes se heurte à l’inconscience de la jeunesse. Le maître et l’élève vont devoir faire preuve de patience, d’écoute afin de trouver un terrain d’entente et devenir plus efficaces pour contrecarrer les super-vilains.
Jeff Lemire exploite comme à l’accoutumée la thématique de la cellule sociale comme dans bon nombre de ces précédents ouvrages. Ce fil conducteur lui permet de tisser une toile scénaristique l’aidant à creuser les origines et le background des personnages. Lemire excelle dans la discipline du genre humain et dynamite la filiation père/fils, il se concentre sur le lien que partagent des protagonistes sombres et préoccupés. Le mal-être tient un rôle primordial et promet d’intenses moments dramatiques. La technique permet également au scénariste de jouer avec le caractère, les ambiances dark et psychologiques du récit. Le destin ainsi que les émotions s’unissent à la tragédie sans manquer d’une douce mélancolie. Jeff Lemire livre une chronique mouvementée où le chemin est aussi important que la destination.
Dustin Nguyen a développé un style tout-à-fait remarquable sur plusieurs projets depuis quelques années tels que Batman Little et Contes de Gotham ou le diptyque Descender/Ascender. Goodbye Chinese ink and please welcome to watercolor, l’artiste opte pour la fraîcheur illustrative. La mise en couleur directe s’allie à un crayonné simple mais surpuissant. Ce graphisme ambitieux suscite l’attention, son découpage séduit par des perspectives sensationnelles et stupéfiantes. La lumière, la texture, le volume, le relief de l’aquarelle s’harmonisent parfaitement aux formes et contours du crayonné schématique. Dustin Nguyen évite la surenchère graphique pour proposer un art séquentiel prodigieux. L’utilisation du pinceau combiné à la peinture à l’eau nous charme littéralement.
N’allez pas croire que Robin et Batman n’est qu’un simple album anecdotique. Jeff Lemire et Dustin Nguyen secouent cette bonne vieille continuité pour revitaliser l’univers du Dark-Knight en dressant un portrait à la fois humaniste et intimiste du légendaire tandem de DC Comics. Alors, vous n’êtes toujours pas tentés ?
Chronique de Vincent Lapalus

©Urban Comics, 2022.