L’actualité vous donne envie de tout larguer ? L’été vous invite au périple au long cours ? Vous ressentez l’appel de la mer et des embruns ? Qui de mieux que les éditions vents d’ouest (Glénat) et une préface rédigée par Isabelle Autissier pour vous embarquer pour un tour du monde en bateau ? Mais pas à bord de n’importe quel navire ! Damien, 10 m de long, a été construit en 1968. A son bord, Gérard Janichon et Jérôme Poncet, amis d’enfance à l’école militaire de Grenoble, devenus coéquipiers. Ils ont réalisé, de 1969 à 1973, le plus long tour du monde en voilier jamais entrepris. Classé monument historique, il a inspiré la bande dessinée qui porte son nom : Damien, l’empreinte du vent . Et c’est grâce à l’illustrateur, Vincent, que ce magnifique album d’aquarelles a vu le jour. C’est en effet lui qui a convaincu Gérard Janichon d’écrire cette grande œuvre, déclinée sur pas moins de 167 pages, mêlant genre autobiographique et récit d’aventures, comme un complément à son livre réédité en 2010. Formidable idée !
Raconter un tour du monde en 5 ans nécessitait un découpage en séquences, morceaux choisis dans les nombreux souvenirs. Le choix du scénariste s’est porté sur un déroulement non linéaire. L’histoire, racontée, n’en est que plus immersive. Les dialogues nourris alternent avec les bribes de carnets de voyage et les belles correspondances épistolaires. Dans un style d’écriture à la fois libre et travaillé, l’âme poétique de l’explorateur transparaît. Si tout le vocabulaire propre à la navigation est ici détaillé, la narration reste fluide, accessible, très humaine et souvent drôle. Au détour d’une page, on peut lire « on va faire un gréement de fortune, comme tout le monde ». Ben oui, comme tout le monde ! Il faut noter que Gérard n’avait jamais navigué avant de larguer les amarres pour cette odyssée. Et c’est cela qu’on aime aussi dans ce livre, ces deux hommes comme vous et moi devenus navigateurs célèbres, mais sans prétentions autres que la liberté, le goût du risque, de la découverte. En mode débrouille, en prenant le temps de vivre chaque étape. Le découragement n’est jamais total, même cloué dans un hôpital spartiate ou en prise avec de monstrueuses vagues déchaînées. A chaque problème sa solution ; une bonne étoile veille sur eux. Avec des moyens rudimentaires, les compagnons de route ont réussi un exploit. Ils nous emportent avec enthousiasme de la Mer du Groenland aux Amériques en passant par l’Islande et le cœur de l’Amazone ; du Cap Horn au Cap de Bonne Espérance ; de l’Australie à la Péninsule Antarctique en passant par la Nouvelle-Calédonie et Tahiti.
Le ciel et la mer se rencontrent, comme les textes et l’aquarelle se marient, dans un équilibre remarquable. Ce one shot nous offre des couleurs magnifiques, une variété de plans très intéressante et des planches majestueuses. Vincent, qui excelle dans la déclinaison des ambiances maritimes, est aussi aviateur et sait nous offrir des ciels dans toutes leurs splendeurs, en jouant sur l’éclat de la lune, la pâleur des nuages ou le coucher du soleil. Damien est dessiné sous toutes ses coutures, la mer déclinée dans tous ses tons, à toutes ses latitudes et toutes ses longitudes. Les escales permettent de découvrir une diversité de paysages, de la jungle équatoriale aux glaces polaires. La peinture à l’eau se prête très bien à cet exercice, elle apporte légèreté et énergie. Des bleus sombres comme l’encre de seiche, à la clarté cristalline de la glace, de la richesse écologique de la forêt amazonienne à toutes les nuances célestes, chaque case nous rappelle la force des éléments. Le temps est par moment comme suspendu, la géographie oubliée… Jusqu’à la prochaine carte partagée, montrant la progression de la folle équipée. Les traits doux des dessins, des visages, achèvent de nous rendre ces intrépides aventuriers sympathiques. Et du scientifique au militaire, des Caboclos aux jeunes femmes, personne ne résiste à leur charme et au caractère si improbable de leur réussite.
Damien, c’est finalement deux jeunes qui ont bifurqué, se sont affranchis des frontières, pour le meilleur. Nos héros font écho à l’aspiration des jeunes récemment entendus, qui n’hésitent plus à exprimer leur besoin de se sentir exister, vibrer. En se donnant comme objectif le dépassement et l’accomplissement de soi, ils ont su mobiliser une jolie chaîne de solidarité tout au long de leur parcours… Une ode aux merveilles de la planète, à lire pour s’évader mais aussi retrouver la foi en l’humanité.
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel


©Vents d’Ouest, Glénat, 2022.