La bédé 100% américaine estampillée Nashville fait un come-back remarqué. Elle débarque pour nous infliger une nouvelle baffe éditoriale labélisée Delcourt. Eric Powell chauffe son alambic créatif pour distiller un nouveau délire imagé avec le retour de son rejeton fétiche, le Goon. Ce one-shot se consomme cul sec comme un bon vieux tord-boyau mais gare, car le retour de flamme risque de vous clouer sur place. Amis lecteurs et lectrices, faites vos prières devant Les Seigneurs de la misère.
Sur une route désertique du Mexique, trois cabrones kidnappent une fillette naïve au visage angélique. Pendant le transport de leur marchandise, ces coños de su madre déblatèrent sur la légende urbaine qu’est la Diabla. C’est l’incarnation de l’esprit de la vengeance œuvrant pour la défense de l’enfance et de l’innocence. Sauf que ce croquemitaine au féminin existe vraiment et va botter le train de cette bande de malandrins. Rideau, le destin a frappé du poing mais une soudaine apparition fantomatique demande l’aide de cette héroïne un rien bourrine. Et hop, disparition !
Ailleurs, dans un coin perdu au fin fond de nulle part, Goon le balafré est toujours affublé de son comparse Franky, l’homme à la face de cacahuète. Ils ont déserté la ville sans nom et coulent des jours heureux dans un cirque itinérant. Désormais, ils sont devenus des intermittents de la roulote. Ils trainent avec Roscoe l’enfant loup qui tient plus du chien de décharge sentant le clébard mouillé mais c’est un bon gars. Goon et ses deux acolytes reçoivent également la visite du fameux fakir spectral. Il leur demande d’embarquer à bord d’un chalutier de fortune pour une mission d’importance capitale. Ciao les culs terreux et les péquenauds consanguins, vive l’aventure sans lendemain !
Une fois à bord du rafiot, un cinquième larron viendra compléter le tableau. Il s’agit de Glenn Loomis alias The Atomic Rage, c’est un super-héros complètement à côté de la plaque. Après on peut le comprendre le pauvre…quand on se retrouve avec un trou d’balle en plein milieu du front qui lance des rafales énergétiques, il y a de quoi être un tant soit peu blasé. Arrivés à destination, ces joyeux lurons tailleront la bavette avec la vieille momie monsieur Queensberry. L’association des seigneurs de la misère prend forme.
Ce qu’on leur demande est on ne peut plus simple. Cette belle brochette de branquignoles doit filer dans les contrées perdues des Carpates afin de dézinguer Grigore Voïvodes des Bysantins. L’idée est de le choper afin de lui carrer son sceptre bien profond dans l’inter fessier avec une bonne poignée de gravier.
Pour Eric Powell, les barrières ou sujets tabous n’existent pas. L’auteur rajoute une couche supplémentaire à l’édifice de son univers bancal, déjanté, difforme limite trouble et tout auréolé d’un esprit pince sans rire. C’est toujours un immense bonheur de retrouver cette poésie gothique, absurde agrémentée d’un langage fleuri et ordurier. Comme d’habitude, Powell propose un contenu singulier en prenant le temps de développer l’histoire et ses protagonistes. Il traite de sujets tels que l’amitié, la cruauté, l’amertume et le pittoresque avec un humour bluegrass made in Tennessee. Le scénario est un hommage vibrant voire criant aux atmosphères fantastiques, aux magazines Pulp, aux E.C. Comics ainsi qu’aux films des années 40 et 70 débordants de méchants emblématiques et charismatiques.
L’aspect visuel est remarquable, l’art d’Eric Powell se constitue d’un style personnel et unique. Son niveau de savoir-faire est élevé grâce au déploiement de techniques mixtes. La mine de plomb submerge les cases de nombreux petits traits et le dessin au lavis se dilue prodigieusement. Le croquis et l’encrage sont peaufinés à l’extrême, sa mise en scène instinctive gagne en texture. Le découpage se veut enchanteur et la représentation crue de la violence est esthétisée. Eric Powell fusionne l’impact d’un Jack Kirby (encore lui…), la puissance d’un Mike Mignola et la séduction d’un Frank Frazetta en un seul trait. Il réalise la colorisation par ordinateur aux côtés d’Andrea Smith. Les nuances envoûtantes partagent la minéralité des tons ocre, la palette de pigmentation accentue les atmosphères brumeuses et mystérieuses. La colorimétrie émeut graphiquement et augmente l’enchantement séquentiel.
Les Seigneurs de la misère est la dernière création d’un artiste en free style, un véritable feu d’artifice que je vous recommande vivement. Alors hop hop hop et tous à vos marque-pages !
Chronique de Vincent Lapalus.

©Delcourt, 2022.