« On se suicide toutes les deux vendredi, avant mes 13 ans ». Cette idée uppercut est le fil rouge de la bd La falaise, premier album de Manon Debaye (scénariste, dessinatrice), paru en septembre 2021 aux éditions Sarbacane. Un ouvrage empli de rage, qui nous rappelle combien les enfants peuvent être durs entre eux au collège.
Deux jeunes filles très différentes ne se sentent pas à leur place dans la société. Charlie, en opposition aiguë avec tout le monde, se bagarre, subit de méchantes moqueries. Astrid, plongée dans ses mondes imaginaires, n’a pas d’amis et est harcelée par les collégiens. Elles se retrouvent au sommet d’une falaise, et font le pacte de mettre fin à leurs jours à la fin de la semaine. Si la violence de Charlie va la submerger et atteindre Astrid, l’imagination de cette dernière va aussi finir par la toucher et, on l’espère, lui ouvrir une autre porte de sortie.
Le récit a le mérite de nous immerger dans l’univers, la pensée, les dialogues des collégiens. Les bulles sont soigneusement écrites en lettres attachées, et, en contraste, les mots sont sans filtre. Les railleries, les jugements, les cris raisonnent et envahissent parfois l’espace. Les parents naviguent entre déni et incompréhension. L’histoire m’a happée, je l’ai lue d’une traite.
Le dessin, un crayonné dense, nerveux, est un très bon choix pour nous faire ressentir pleinement l’ambiance noire de l’histoire. L’utilisation de couleurs douces aux moments où les fillettes se sentent plus libres font respirer le lecteur à l’unisson avec elles. La juxtaposition de cases comme des bris de miroir renvoie, à l’inverse, à la noirceur de leurs émotions, de cette vie broyée qui ne fait pas sens.
Le harcèlement scolaire est encore trop fréquent. Il est aussi encore trop souvent minimisé. C’est un livre pour se souvenir qu’il est nécessaire d’écouter les ados, de les soutenir, de les aider à trouver une réponse forte et bienveillante à leur besoin d’appartenance. Un roman graphique puissant qui porte également sur l’adolescence, l’estime de soi, l’amitié, l’amour, la différence.
Chronique de Mélanie Friedel-Huguet.
