Une pépite extraterrestre. Voilà comment j’ai envie de qualifier la bande dessinée Antonio, éditée par Des ronds dans l’O en septembre 2021. Cet album, de Michèle Standjofski, est un récit fleuve, très graphique et stylisé. C’est la biographie d’Antonio Caffiero, un artisan italien, épris de liberté, qui adore raconter des histoires – et c’est ainsi qu’il a transmis son histoire, ses histoires, à sa famille, jusqu’à son arrière petite-fille Michèle.
L’homme a un côté Don Juan ; il pourrait aussi nous faire penser au père dans l’arabe du futur, passant sa vie à voyager d’un pays à un autre, de part et d’autre de la Méditerranée. C’est un latin dans l’âme, qui aime les femmes, les bons repas, la musique ; enfin surtout les femmes! Qui côtoie les puissants mais n’oublie pas ses racines populaires. Un rêveur jovial, intelligent, un peu égoïste.
L’histoire est très vivante, emplie de scènes de joie, de jeux, de repas, de discussions… Où l’italien se mêle au français, où d’autres langues s’invitent avec leurs caractères mystérieux pour qui, comme moi, ne sait pas les lire. Le texte est assez dense, riche en informations mais aussi en émotions. Les nombreux dialogues plongent le lecteur dans chaque période historique, avec ses évènements géopolitiques. La vie du héros est entre l’aventure et la fuite – s’il fuit au début ses anciennes conquêtes – pour parfois les retrouver, il fuit aussi les difficultés économiques, ainsi que les régimes qui deviennent hostiles aux étrangers. Mais le récit est avant tout composé avec malice et poésie. Régulièrement, l’auteure nous suggère qu’elle a pu arranger la réalité – comme le faisait Antonio.
Ce qui, à mes yeux, rend cet ouvrage extraordinaire, c’est aussi bien le contenu du récit, que le dessin, très puissant, entièrement crayonné, avec un noir et blanc rehaussé d’une ou deux couleurs maximum à la fois – toujours des couleurs vives apportant du contraste. Elles sont en harmonie avec les pays traversés et les paysages du chapitre : jaune, rouge, bleu… L’auteure sait également finement retranscrire la vitalité des personnages. Ainsi, les sourires, les mouvements des yeux, des mains, sont à apprécier à chaque case. De jolis paysages des villes traversées rythment le récit ; ils ancrent les scènes dans une réalité historique et géographique. L’ensemble, immersif, donne l’impression d’être dans un film.
Ce qui est rare, est précieux. Et il est rare d’avoir une bande-dessinée avec un artisan pour personnage principal ; rare de lire un ouvrage qui nous fait autant voyager, que ce soit spatialement ou en nous faisant revivre 70 années du XXème siècle, et d’une manière aussi vivante. Remarquable d’avoir pu produire un roman graphique aussi abouti dans un Beyrouth aussi dévasté. Merci à Michèle Standjofski, une auteure féminine à qui l’on souhaite beaucoup de succès!
Chronique de Mélanie FRIEDEL-HUGUET

