Infidel

Il arrive quelquefois qu’un «reboot» existentiel soit nécessaire. Comme l’envie de changer d’appartement ou de prendre un nouveau départ. Parfois la tentative vire au carnage. Infidel de Pornsak Pichetshote, Aaron Campbell et José Villarrubia aux éditions Urban Indies est un titre qui nous fait réfléchir et nous file la chair de poule !

Aisha Hasan est une jeune pakistano-américaine, sa meilleure copine se prénomme Medina Jackson. Elles partagent la même confession religieuse pourtant Medina a préféré devenir athée durant l’adolescence. Aisha vit en couple avec Tom, sa belle-fille Kris et sa belle-mère Leslie. Ils occupent un logement dans un très vieil immeuble de Manhattan. Les relations avec sa maman sont tendues mais elle sait bien s’entourer. Grace, Ethan et Reynolds sont ses amis en plus d’être des colocataires ou voisins de Medina.

Il se passe des choses vraiment étranges dans le bâtiment. Un acte terroriste a été commis et la xénophobie règne dans le voisinage. Aisha fait des cauchemars en plus d’avoir des hallucinations atroces qui surgissent à tout moment. La demoiselle effrayée décide de consulter car elle commet des actes insensés voire dangereux pour ses semblables.

Hélas, un drame survient. Leslie et Kris chutent violemment dans les escaliers alors qu’Aisha est présente dans le couloir. Est-elle responsable de l’accident ou est-ce la faute d’une des monstruosités tapies dans l’ombre qui hantent la protagoniste ? Leslie décède suite à l’incident, Kris se retrouve dans un état grave et Aisha sombre dans un coma inexplicable. A cause de cela, l’islamophobie gagne la bâtisse. Les vieilles rancœurs intercommunautaires refont surface et l’insécurité domine. Medina et ses proches veulent tirer ça au clair. Elle espère innocenter sa camarade des faits qui lui sont reprochés en démêlant le vrai du faux.

Pornsak Pichetshote est un ancien architecte et superviseur de séries pour Vertigo. Il a travaillé avec la crème des créateurs et il en a tiré une riche expérience. Pichetshote prend la plume et Infidel est son premier scénario. Rien d’étonnant à ce que son ouvrage baigne dans l’atmosphère typique du label adulte de DC Comics. Partant d’un pitch d’épouvante pure, l’auteur ajoute un message politique fort. La haine de l’étranger se dilue impeccablement à l’intrigue dans une mouvance qui rappelle les terrifiantes productions récentes de Joe Hill. L’auteur a su concocter une histoire subversive et sensitive. Pornsak Pichetshote est un écrivain très imaginatif à l’écriture redoutable et aiguisée qui a des choses à dire, il sera sans doute à suivre de très près.

Aaron Campbell rapproche son style d’illustrateurs tels qu’Alex Maleev ou de Michael Gaydos sur Infidel. Exit la clarté, le tracé se veut épais mais aussi rugueux que «climatique». Le dessin de masse se fond dans un travail de contraste, ce juste équilibre cultive les atmosphères sombres. Les pleines pages et les cadres prennent aux tripes, la monstruosité est diablement bien représentée. Le gaufrier s’emploie de manière classique quand l’action reste linéaire, par contre les cases se cassent la gueule dès que l’indicible entre en scène. Le découpage s’impose de manière absolument brillante. La disposition graphique frôle la psychose, la réalisation de Campbell est implacable.

On ne présente plus José Villarrubia, un magicien et grand théoricien de la couleur. Ce virtuose est respecté dans le milieu puisqu’il a collaboré avec les plus talentueux. Villarrubia porte la double casquette de coloriste et d’éditeur en chef pour Infidel. Il donne littéralement vie aux planches. Les teintes insufflent de l’intensité avec une certaine rigidité cadavérique, les rouges donnent le frisson. La chromatique déforme le graphisme, elle joue et complète à merveille un crayonné qui a faim de nuances ce qui lui permet de déboucher sur un bel art torturé. Ce one-shot n’a rien à envier au cinéma, il met dans l’ambiance sans avoir recours à la musique ou aux mouvements de caméra. Les cadrages s’allient à la pigmentation afin de produire un effet de malaise identique.

Avec l’appui des éditions Urban Indies, ce team créatif nous propose un comic-book de genre surprenant jusqu’à l’asphyxie. Alors pourquoi bouder son plaisir ? Plongez-vous dans cet album relié façon peur panique mais à l’esprit effroyablement critique.

Chronique de Vincent Lapalus

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