Dès l’ouverture, je suis traversée d’incontrôlables frissons et d’une agréable effervescence. Les vêtements me collent à la peau. J’ai du mal à respirer et j’ai un furieux besoin de me désaltérer. Aimée de Jongh, m’accule dans d’ultimes retranchements et me pousse à me mettre à l’abri. Jours de sable c’est un déchaînement d’émotions et de sensations : bouillonnement, essoufflement et déshydratation ! Cette publication des éditions Dargaud est clairement un de mes plus gros coups de cœur de ce mois de mai.
Ce que je constate, et que j’apprécie énormément, c’est le soin que l’éditeur a apporté à la conception des trois bandes dessinées d’Aimée de Jongh qu’ils ont publiées ! Ils ont utilisé un beau papier épais et mat. Le retour de la Bondrée, est entièrement réalisé en noir et blanc. Pour L’obsolescence programmée de nos sentiments, scénarisé par l’incontournable et prolifique Zidrou, ils ont choisi une couverture souple, ce qui n’enlève rien à sa valeur. Les planches, cette fois, sont en couleurs et en majorité conçues avec des teintes pastel. Cela procure à ce roman graphique toute la douceur escomptée. Avec Jours de sable, tous ces éléments sont divinement réunis. Le livre ne fait pas loin de trois cents pages et la perception est luxuriante. Une belle jaquette orne l’ouvrage, ce qui ajoute un visuel classieux ! Ce titre est une fiction, abondamment inspirée de la réalité. Le recueil est parcouru de photographies d’époque. Elles introduisent chacune un chapitre dessiné en cohésion avec le cliché ! Le graphisme est d’une grande force. Les personnages sont authentiques et les nuances appliquées incandescentes : jaune, sable et orange. Ces touches lui donnent un aspect flamboyant. La fin du livre est agrémentée de diverses photographies, annotées d’explications claires sur le déroulement des événements qui se sont déroulés pendant près d’une décennie. Il est invraisemblable de penser qu’il n’aura fallu que trente ans à cette terre, à cheval entre l’Oklahoma, le Kansas et le Texas, pour devenir inexploitable ! Ces plaines riches et peu coûteuses, attirent dans les années 1900 beaucoup d’immigrants. Suite à la grande dépression, au début des années 1930, les agriculteurs augmentent leur production. Entre les années 1931 et 1937 toute la contrée est dévastée par la sécheresse. S’il était impossible de prévoir cette catastrophe, il est évident que le labourage intensif s’est accompagné de lourdes conséquences. Un cataclysme écologique se produit et de graves maladies apparaissent. Les « black blizzards » emportent récoltes et pâturages et recouvrent de sable tout ce qu’ils trouvent sur leur passage. Ces événements apporteront à cette contrée le nom de Dust bowl « bassin de poussière ».
A peine entrouvert, on rencontre le regard de deux hommes : un père et son fils. Dans leurs yeux on lit la résignation. Arrive ensuite un paysage aride, rehaussé de mauve, où l’on fait la connaissance de notre jeune héros. Mais que peut-il bien être en train d’enterrer dans les profondeurs de ce sol infertile ? Travelling arrière. Washington fin des années 30. John Clarke, photographe de 22 ans est en retard. Il a rendez-vous avec la « Farm Security Administration », organisme gouvernemental, qui recherche un professionnel pour se rendre dans un coin paumé et désertique afin d’y prendre des instantanés mettant en scène la population, les habitations, ainsi que les paysages. Son objectif est de démontrer aux institutions le désarroi dans lequel se trouvent les paysans victimes de la Grande Dépression. Le jeune homme, qui travaille pour un journal local new-yorkais, ne se laisse pas démonter par la description peu alléchante que lui fait le directeur. Même si cela semble rude, il a besoin de se prouver qu’il peut aller investiguer au cœur de l’Amérique profonde. Le voilà en possession de la liste des représentations demandées, il ne lui reste plus qu’à faire ses bagages, dire au revoir à sa maman et prendre la route dans sa Ford.
Ce qu’il découvre à son arrivée est loin de ce qu’il s’était imaginé. Des paysages bouleversants, sillonnés d’écrasantes bourrasques. Les fermiers sont méfiants. Que cherche cet étranger dans ces contrées que personne ne veut plus habiter et dont chacun rêve de s’échapper ? Maladroit à son arrivée, il peine à se faire accepter. Il lui faudra beaucoup de patience et l’aide des plus jeunes pour gagner la confiance des parents et trouver sa place. Ils lui parlent tous des rêves qu’ils avaient à l’arrivée, puis de leurs désillusions au fil du temps ou encore de la maladie et de la mort d’un proche. Mais aussi l’espoir de trouver le courage de tout abandonner pour accéder à une existence meilleure. Ceux qui le peuvent ont préparé valises et affaires et s’en sont allés du côté de la Californie, l’état de tous les fantasmes.
Le mois qui lui a été accordé est vite passé. S’il a pris toutes les images demandées, tout cela résonne en lui comme une énorme escroquerie. Les échanges vibrants avec tous les interlocuteurs ont ouvert dans son esprit une autre forme de réalité. Fort de cette nouvelle aspiration, il décide de mettre un gros coup de balai dans sa vie et de la reprendre en main. Le courant n’a pas dispersé que les particules de cette terre stérile, mais également toutes les pensées amères qui l’habitaient depuis sa tendre enfance….
Parfois, on sait, que dès la première note, phrase ou illustration, un air, un livre ou une peinture, ne pourra plus jamais quitter nos pensées. A l’instant où j’ai terminé Jours de sable, j’ai su qu’un certain temps me sera nécessaire pour retrouver une composition qui me laissera une telle impression…
Que le vent souffle et qu’il vous ouvre les pages de cet album exceptionnel !
Chronique de Nathalie Bétrix