C’est une évidence, il y a toujours de très belles parutions à découvrir dans le catalogue des éditions Sarbacane.Anne-Laure Reboul et sa sœur Naomi, ont élaboré une intrigue tout à fait fascinante, Iris, deux fois. Pour leur première collaboration, elles ont su me charmer de la première page à la dernière. Indiscutablement, je ne me suis pas ennuyée. Ce récit est simplement captivant ! L’une est libraire, l’autre illustratrice, l’association parfaite pour créer une histoire insolite !
Iris se réveille un beau matin avec les idées peu claires ! Nous sommes à la veille de la remise du prix littéraire Renaudot et son conjoint, qui travaille dans l’édition, lui assure que cette année, elle sera la lauréate. Pour le moment l’écrivaine a d’autres soucis, elle émerge d’une nuit emplie d’un cauchemar qui lui semble trop réel. Elle s’y est vue mariée à un ancien petit ami alcoolique, mère d’un enfant handicapé et libraire pour une grande chaîne de magasin.
Les jours passent et, si dans sa « vraie » vie les choses se déroulent comme elle en a rêvé, ses cauchemars s’immiscent en elle comme une angoissante maladie. Chaque soir, elle s’inquiète à l’idée de fermer les yeux et de plonger dans le sommeil. Cette existence emplie de frustrations avec un homme instable qui passe son temps à boire et à geindre, la précipite dans une profonde détresse. Son mari et son éditeur, ont beau faire des efforts pour tendre une oreille attentive à ses frayeurs, ils pensent qu’elle exagère. Ils sont persuadés que son état est causé par la récompense qu’elle vient de recevoir et l’euphorie qui en découle. Pour Iris, le mal est plus profond. Elle se débat avec deux vies et il n’est pas facile de passer de l’une à l’autre. Elle ne trouve qu’en Camille, son amie fidèle, le réconfort qui lui permet d’avancer. Incomprise par ses proches, elle perd pied lors d’une émission littéraire. Pour ne pas sombrer dans la folie et reprendre le contrôle de son destin, elle part avec son époux se ressourcer en Bretagne. Si se remettre à l’écriture l’effraie, c’est grâce à son double qu’elle trouvera la lumière au bout du tunnel…
Qui n’a pas fait un jour de rêves ou de mauvais songes qui lui auront semblé tellement crédibles, qu’il lui aura fallu plusieurs minutes pour savoir si ce qu’il a vécu était véridique ou faux ? Le problème de notre héroïne c’est que cela ne s’arrête pas là. Chaque nuit qu’elle vit ressemble à s’y méprendre à la réalité. La romancière finit par douter et ne plus savoir laquelle des deux Iris est l’authentique. L’une a tout ce dont elle peut désirer : un bel appartement, un partenaire aimant, le succès et des amis, l’autre se laisse aller, vivote avec un ivrogne pathétique, un enfant invalide et fait un travail « alimentaire ». Elle a laissé de côté tous ses projets d’écriture, ce qui génère en elle une incommensurable lassitude. Jongler d’une vie à l’autre devient un terrible supplice.
Après La tomate sortie aux éditions Glénat en 2018 et La marche en 2019 des éditions Vents d’ouest, deux bandes dessinées illustrées par Régis Penet, Anne-Laure Reboul nous revient avec une fiction d’une extraordinaire intensité et aux revirements inattendus. Son premier titre nous emmenait dans un futur plus ou moins proche, aseptisé et hiérarchisé, où une femme se retrouve devant les tribunaux, accusée d’avoir fait pousser des graines de tomates en toute illégalité. Pour le second, elle nous propulse en Russie en 1812, en pleine guerre napoléonienne. Lors de la lecture de cet ouvrage, on ressent intensément toutes les anxiétés de cette épouse en détresse. La scénariste, nous décrit avec réalisme tous les bouleversements que vit cette artiste après seulement trois romans à succès. Naomi, quant à elle, a su créer avec justesse, un dessin qui donne vie avec authenticité, à tous les protagonistes qui parcourent ce roman graphique. Il est parfois doux et élaboré avec une grande finesse. Puis on découvre des pages où les teintes sont plus sombres et brutes. Tous ces effets apportent à cet album une puissance narrative et visuelle d’une redoutable efficacité !
J’ai été conquise par l’ensemble de cette œuvre, elle m’a précipitée dans une multitude de sentiments. C’est indéniablement une grande réussite, qui m’aura imprégnée des jours durant, autant par le développement narratif, que par l’attrait séduisant de sa représentation. Enivrant !
Chronique de Nathalie Bétrix