La vie n’est pas nécessairement un long fleuve tranquille, elle peut être parfois assez mouvementée voire émotionnellement difficile. La preuve en est avec cet ouvrage de Chris Ware intitulé Rusty Brown. Ce livre suit le quotidien de sept personnages dans les murs d’une école de la ville d’Omaha au Nebraska. Les éditions Delcourt supervisent la traduction du nouveau pamphlet de cet auteur encensé par la critique depuis Jimmy Corrigan.
Rusty est un petit garçon insouciant et rêveur. Il aime les comics et s’imagine une vie super-héroïque bien plus intéressante que sa scolarité primaire. Ce petit bonhomme est dès son arrivée aux portes de l’établissement tétanisé. Il est donc logique que le fantasme prenne le dessus sur sa triste réalité. Chalky White lui est le nouvel arrivant du groupe, il a tendance depuis la naissance à se sentir mal aimé. Il sera le nouveau copain de classe de Rusty et ils partageront un secret inavouable concernant Supergirl. Alison est quant à elle la sœur de Chalky, ils seront obligés de s’installer tous les deux chez leur grand-mère. Ali est une adolescente mal dans sa peau car elle vient de quitter sa meilleure amie. Elle doit tout reprendre à zéro. Jason Lint est l’archétype de la crapule du lycée. Il malmène ses camarades plus petits, se croit plus intelligent que tout le monde et c’est un vrai rebelle. Viennent ensuite les enseignants. Woody Brown (le papa de Rusty), Joanne Cole et Chris Ware. Ce sont des professeurs qui éduquent et enseignent afin de préparer ces chers petits à leur entrée dans la vie active. Malheureusement, le feu sacré ne les habite plus depuis bien longtemps. Tout ce joli petit monde évolue dans un collège.
La grisaille de l’âme est au centre de ces multiples récits. L’institut pédagogique est un terrain de jeu fascinant pour étudier les sciences comportementales. Il s’agit pour certains de fuir la cruauté journalière, de chercher à appartenir à un groupe pour d’autres. On aborde la perte de repères qui affecte les personnes mais aussi la passion ou le plaisir qui s’évaporent. Il s’agit tout simplement de la tristesse qui ronge la motivation.
Chez Chris Ware, les enfants sont accablés et les ados au bout de leur vie. Les adultes sont en pleine introspection. Ils se tournent, regardent le chemin parcouru et sont dans le regret. Cette histoire a une vie propre et chemine en totale indépendance comme une mesure du temps qui passe. Le récit plane dans l’air ne demandant qu’à être délicatement couché sur papier. Le scénariste relate des faits du quotidien sans pour autant dispenser de morale. Cet anthropologue du neuvième art transpose les petits riens de l’existence. L’auteur gère d’une manière assez décomplexée et avec intelligence le défilé narratif.
Je considère cet artiste comme un décorateur de l’espace. Le découpage peut se déployer sur plus d’une quarantaine de cases sur un chapitre. Un autre sur une destinée entière de la naissance jusqu’à la mort, ou se déplier sur des dizaines de pages. Le format à l’italienne aide beaucoup. Le rotring est employé avec parcimonie et aisance. Une ligne claire maîtrisée qui se dessine à l’aide de formes géométriques parfaites. Un langage graphique issu de l’école belge aux choix précis et rigoureux, fait d’un trait d’encre noire à l’épaisseur constante et d’un soin particulier accordé aux décors. Les couleurs quant à elles, se travaillent en aplats sans trop d’effets d’ombre et de lumière.
Rusty Brown est un mélodrame teinté de petites touches d’ humour caustique qui s’étale sur plus de 300 pages tout en étant à la fois puissant et émouvant.
Chronique de Vincent Lapalus.