MURKY WORLD

Une fin de semaine pour une fin de mois. Je zone un samedi matin dans ma boutique préférée et la paye est tombée. Je fais l’acquisition de quelques bandes dessinées. Et parmi elles se trouve Murky World, le dernier album de Richard Corben. Quelques jours plus tard j’apprends avec tristesse la disparition de ce géant du médium. Une petite discussion se lance avec mon rédacteur en chef sur mes prochaines chroniques. D’un commun accord, l’idée de rédiger un écrit sur ce titre des éditions Delirium tombe à pic. Tout a été dit sur ce grand monsieur ou sur sa production qui s’est étalée pendant des décennies. Ce n’est pas grave, le défi est relevé. Allez je me lance…

Le paysage est désertique, le soleil cogne sur un monde trouble. La vieille sorcière borgne du nom de Mag marche et trouve un homme qui dort près d’une pierre. Ce bipède se nomme Tugat et d’après la magicienne, il serait un guerrier que le destin a mis sur son chemin dans un but bien précis. Elle réveille ce monolithe à l’esprit léger et l’emmène jusqu’à la frontière d’une forêt luxuriante. Stupéfaction, l’écosystème a subitement changé. La mission du barbare consistera à atteindre la citadelle de l’est, mais au détour d’un chemin ce grand imbécile se trompe et part vers l’ouest. Une destinée macabre l’attend.

Le début du calvaire commence pour lui et il n’arrivera pas à vaincre les démons qui se mettent en travers de son chemin. Après une défaite cuisante, il deviendra esclave puis gladiateur. Tout ceci pour amuser une population qui s’exalte devant des spectacles de mort et de barbarie les plus primaires. Mais Tugat fait la connaissance de Moja, une « amazone » qui vit elle aussi en captivité. Voulant échapper à leur asservissement, le nouveau couple décide de prendre le large mais leur cavale ne sera pas de tout repos. La fuite reste leur seule alternative. Thur Lon, leur esclavagiste, part sur leur trace. En chemin ils croiseront le fer avec des créatures hautes en couleur et effrayantes. Hobia et Lord Phatuus, deux tyrans viendront mettre leur grain de sel dans l’histoire sans oublier la dernière de la race des cyclopes. Une traversée du désert qui sera riche en enseignement mais qui se terminera comme une tragédie sèche voire dépourvue de sensibilité. Un soupçon de manipulations et de trahisons plane sur cette quête surnaturelle. Le monde est hostile et la fin se clôt de manière abrupte limite désastreuse, ce brave Tugat finira-t-il cette épreuve tel le héros solitaire ? Mystère. !

Durant ses premiers émois de lecteur et pendant toute sa carrière, Richard Corben s’est nourri de romanciers américains. Edgar Allan Poe, Robert E. Howard, William S Burroughs et H.P. Lovecraft. Ils sont devenus ses principales inspirations. Corben emprunte et compile dans ses histoires, les influences aux univers des pères fondateurs que ce soit dans le domaine de la fantasy, du fantastique, de l’horreur et de la science-fiction. Comment élaborer un succulent cocktail scénaristique ? Voilà la recette : Tout d’abord, trouvez une idée qui vous stimule. Ensuite prenez un shaker dans lequel vous ajoutez une pincée d’auteur par-ci, une petite dose de nouvelliste par-là et vous saupoudrez le tout avec de la poudre de dramaturge. Voici la meilleure explication possible concernant le travail narratif de Richard Corben. Un mélange de plusieurs sources qui se décline en un buffet savoureux possédant une patte tout-à-fait personnelle.

Lorsque l’on découvre les premières images d’un ouvrage signé Richard Corben sans en lire la page de garde, nous savons de suite à quel artiste nous avons à faire. Son style unique, aisément reconnaissable en fait l’illustrateur de « matière » par excellence. Un sculpteur de l’ombre, qu’il travaille de manière assez contrastée et tranchée. Son découpage, ses plans relèvent de l’audace artistique. Il combine avec maestria un trait exagéré et réaliste. C’est l’alchimie parfaite entre l’extravagance esthétique et le crayonné classique dit académique. Une ligne qui prend littéralement possession du récit. C’est un artisan de l’image qui nous en met plein la vue. Son porte mine en rajoute une bonne couche par-dessus le marché. Des gueules difformes, les vues, des corps tout en nerfs et les femmes aux physiques bodybuildés équipées de poitrines opulentes sans oublier cette fumée bien épaisse. Un dessin tordu et bouffi mais dont il se dégage une maîtrise hors du commun. Pour la couleur, ce roi de l’aérographe fait équipe avec Beth Reed (madame Corben à la ville). Il délaisse ses plaques de cyan, magenta, jaune et noir qui donnaient une impression de planches peintes à l’époque. Afin de favoriser une mise en couleurs par ordinateur à quatre bras, soignée mais qui reste dans un esprit et un ton du bon goût. Des pigmentations qui retranscrivent la chaleur étouffante et accablante.

Murky World devient le dernier tour de piste de ce bédéiste américain. Ce styliste de l’horreur, ce visionnaire et maître de la dark-fantasy post-apocalyptique nous a quittés pour laisser une œuvre riche en qualité et en quantité. Constat amer, Richard Corben fut le seul et unique représentant de ce courant artistique laisse un grand vide. Rest in Peace mec!

Chronique de Vincent Lapalus.

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