Quand on ouvre un album de la saga Murena scénarisée par Jean Dufaux et éditée par Dargaud, on est à peu près sûr de ce qu’on va y trouver: un récit juste, bien ficelé qui séduira les amateurs d’une histoire romaine passionnante.
Cette série est axée sur la relation entre deux hommes. Le premier, Néron est sans doute le plus célèbre empereur romain, un despote mégalomane, grand bâtisseur qui marquera durablement sa cité avant de sombrer peu à peu dans la folie. Le second est un praticien du nom de Lucius Murena, un très bel homme apprécié des femmes mais aussi un guerrier valeureux et tourmenté dont le destin sera indissociable de l’histoire de la capitale Italienne.
Au menu de cette fresque historique, des trahisons, des conspirations et une bonne dose de vengeance le tout saupoudré par des combats au cœur de l’arène d’une rare intensité et des scènes luxuriantes d’une sensualité affolante.
On y redécouvre des anecdotes véridiques, l’histoire romancée de la ville jadis la plus puissante d’occident voire du monde, des mœurs débridées et des témoins de premier ordre.
Jean Dufaux a imposé une narration calibrée, exigeante qui fut longtemps complétée avantageusement par les illustrations de Philippe Delaby, un artiste dont il est difficile d’oublier la générosité et d’égaler le talent. Depuis le dixième volet, c’est Théo, qui a la lourde tache de lui succéder au dessin. On ne peut que se réjouir de ce choix éclairé tant les points communs entre les deux artistes sont aujourd’hui évidents.
Dans ce onzième volet intitulé Lemuria, on retrouve un héros mal en point mais déterminé à revenir à la vie. Bénéficiant de l’aide de Titus Flavius Vespasianus, l’homme retrouve peu à peu la mémoire. Bien qu’il soit recherché et accusé d’avoir attenté à la vie de l’empereur, il sort de sa retraite pour se rendre à Rome où il espère l’aide de Pétrone, le fameux penseur.
Au même moment, l’hydre, une redoutable combattante qui appartient à Insanus entre en scène. La guerrière semble prête à tout pour s’entretenir avec un César en pleine déperdition, de plus en plus méfiant et isolé.
Une fois encore, Jean Dufaux offre un épisode ciselé au centre duquel Néron, attaqué de toute part semble glisser peu à peu et perdre la raison. De nouveaux personnages font leur entrée et ils ne manquent pas de charisme. Bien que les retrouvailles entre Lucius et Néron nous laissent un peu sur notre faim, on est néanmoins ravi de retrouver les caractéristiques d’une série qui n’a plus rien à prouver. On ne s’ennuie pas une minute tant les rebondissements sont nombreux et l’alternance entre les scènes bien travaillée et réfléchie. Le scénario est inspiré et cohérent.
Coté dessin, on est subjugué par le talent d’un dessinateur auquel rien ne résiste. Il offre un éventail de plans splendides. Que ce soit au niveau des représentations anatomiques où il excelle mais aussi des combats et des interludes de débauche, tout est irréprochable. Théo est parvenu à s’imposer et sa prestation graphique est une fois encore époustouflante, riche de détails et de vitalité. Il apporte son savoir-faire et sa technique aiguisée tout en glissant sur la couverture et ailleurs des clins d’œil étonnants qui n’échapperont pas aux bédéphiles avertis.
Les couleurs sont un autre atout de la série. Lorenzo Pieri réalise une colorisation douce et efficace qui contraste avec la dureté des événements. Il est à l’origine d’ambiances extraordinaires qui font honneur à ses prédécesseurs.
LEMURIA s’inscrit dans la lignée des volets précédents, c’est un album historiquement impeccable et visuellement sensationnel.
Chronique de Stéphane Berducat