J’apprécie énormément les histoires assimilées au genre steampunk. Elles sont assez rares dans la production américaine. Ces récits se déroulant au dix-neuvième siècle sur fond de révolution industrielle qui respirent le charbon et la vapeur, trouvent une jolie déclinaison dans Lady Mechanika. La série en est à son septième volume qui s’intitule Sangre. L’équipe créative est composée de Marcia Chen, Joe Benitez, Martin Montiel et Brian Ching en ce qui concerne le scénario et le dessin. C’est Beth Sotelo qui est responsable des couleurs et Glénat Comics qui se charge de la traduction pour nos chères contrées françaises.
La belle « mécanisée » résidant à Mechanika City-Angleterre, doit se rendre en Espagne pour aider la baronne Eleanor de Calvitero. Cette noble sollicite Lady Mechanika pour lui venir en aide dans un cas de possession dont est victime son fils Alejandro. Ce petit seigneur est possédé par un démon et l’aventurière de l’ère victorienne est désignée pour chasser le mal.
La détective de charme est plongée dans des évènements étranges teintés de magie, de science et de fantastique. Toute cette machination a un rapport lointain avec une cité frappée par l’attaque de créatures démoniaques qui deviendra plus tard le Mexique. Le continent espagnol est touché par la même malédiction.
La steamgirl se retrouvera au centre d’une intrigue voire d’un feu croisé mêlant la caste des vampires avec la Madrina, le bras vengeur de la Dama de la Muerte. Alejandro, jeune éphèbe tomba amoureux de Lucian un prince vampire, et devint son amant et vassal. L’héroïne devra protéger le garçon des pressions exercées par sa propre famille, mettant tout en œuvre afin de faciliter son intégration au sein des buveurs de sang tout en contrant le courroux de l’esprit vengeur de la divinité de la mort. La famille de la Madrina fut victime des suceurs de plasma quelques siècles plus tôt.
La demoiselle aux prothèses indestructibles continue son petit bonhomme de chemin dans des aventures toujours plus envoûtantes et palpitantes tout en investiguant pour découvrir ses origines. Des révélations sur son passé sont distillées au compte-goutte tome après tome. L’ombre grandissante d’Elias Cain plane. Ce savant fou mais révolutionnaire, n’est autre que le grand architecte de cette transformation et évolution technologique. Nous sommes happés par une lecture définitivement appétissante.
Pour le synopsis, Joe Benitez et Marcia Chen traitent leur sujet avec sérieux. Ils ont une grande connaissance de ce genre littéraire. Ils mélangent dans l’intrigue l’atmosphère de la société industrielle avec le folklore de différentes cultures ce qui a pour effet de donner plus de relief à leur script sans tomber dans le pathos du genre à répétition. Ils accouchent d’histoires pittoresques à l’image des mythes et légendes qui les composent. Ils livrent des scenarii originaux, décalés et inhabituels avec en filigrane le thème de la différence et de l’acceptation de soi. Une mécanique scénaristique bien huilée dont les rouages s’imbriquent parfaitement pour nous transporter dans un périple psychosensoriel rétro-futuriste.
Concernant la partie graphique, Joe Benitez et Martin Montiel s’occupent de quelques pages en début de chaque chapitre. Ils cèdent leur place d’illustrateurs à Brian Ching un ami de Benitez et ancien collaborateur à l’époque du studio Top Cow. L’artiste prend en charge la quasi-totalité de la mise en page de l’album. Ce qui peut paraître au départ comme une rupture illustrative pour certains, n’affecte en rien la narration de la série. Bien au contraire, Ching apporte une touche de fraîcheur à ce voyage temporel et « uchronique ». Son crayonné est souple mais riche en détails comme l’exige ce genre de récit fantaisiste. Le soin apporté aux costumes et au design exotique est appréciable. Le point fort du dessinateur réside dans son découpage ultra-dynamique à la patte nippone. Les personnages sortent des cadres, les cases explosent littéralement et les vignettes abordent différentes formes pour mieux fondre à l’action. Nous sommes bien loin du gaufrier classique du comic-book. Ce souffle artistique est embelli par la mise en couleur toute en précision de Beth Sotelo. Il n’y a pas de pigmentations éclatantes ou brillantes mais plutôt une esthétique caricaturale qui navigue entre des tons de boiseries sombres et du métal puddlé. Une approche colorimétrique qui verse dans le gothique, pour une composition visuelle toujours fusionnelle.
Réglez vos prothèses, faites monter les chaudières en pression! Attisez le feu et lisez Lady Mechanika aux éditions Glénat Comics, ou vous risquez de tomber nez à nez avec un ingénieur à l’esprit dérangé…
Chronique de Vincent Lapalus.