Il n’y a pas que Marvel et DC qui ont l’exclusivité des crossovers dans le monde du comic-book. Terry Moore fait désormais de même avec Cinq Ans, event qui réussit le tour de force de réunir ses personnages les plus emblématiques aux Editions Delcourt.
N.B. : Il est important de connaître et d’avoir lu plusieurs séries de l’univers exclusivement féminin de ce créateur pour apprécier pleinement ce volume.
Katchoo s’est installée à Hawaï avec Francine, sa moitié et leurs deux adorables petites filles. La vie est agréable en bord de mer là où les rayons du soleil baignent sur l’horizon. Pourtant elle fait un cauchemar récurrent qui implique l’éradication de l’espèce humaine. Un simple songe ou un futur cataclysme en devenir ? Une bombe bien plus puissante que ses petites sœurs américaines et russes risque de détruire non seulement la planète mais le système solaire voire la galaxie toute entière. Un nouveau type de projectile rempli de matière PHI va créer une combustion instantanée et détruire la totalité des molécules d’hydrogène. Une nouvelle version de la guerre froide se prépare entre les Etats-Unis et la Russie, la course à l’armement est lancée mais risque au final de finir en désastre.
Tout ceci a un rapport avec une armure faite du même alliage (le fameux PHI) qui avait explosé lors d’un essai en vol. Tambi, la sœur de Katchoo, est en contact étroit avec Julie Martin la nouvelle porteuse de la combinaison. Elle travaille au Pentagone et dépêche une fine équipe afin de stopper cette compétition du pourvoir d’armes à l’issue inéluctable. La force agissante constituée par l’agent des services secrets comprend Rachel affublée de Zoé, deux immortelles et réincarnations des sorcières de Salem. Elles sont envoyées en Russie pour glaner des informations et dénicher la liste des personnes travaillant sur le projet. Katchoo sera présente pour leur prêter main forte. Samantha l’ex-navy seal aura la charge de protéger Francine et les fillettes. L’opération est bien préparée mais malheureusement tout ne se déroulera pas comme prévu. Les « super nanas » vont devoir affronter le KGB et son parterre d’espions ainsi que leur meilleure nettoyeuse, la froide Babochka. Malus et Lilith les grandes puissances maléfiques, sont-elles aussi responsables de cette apocalypse en devenir ? Aucune hypothèse n’est à exclure.
Terry Moore joue la carte de la mixité avec l’ensemble de ses créations hétéroclites, je m’explique. Que ce soit une simple histoire d’amour entre Katchoo et Francine dans Strangers In Paradise, du fantastique avec Julie et sa seconde peau pour Echo. Le récit d’horreur concernant Rachel et Zoé avec Rachel Rising ou la triste réalité de Samantha qui vit avec son ami imaginaire Gorille et son syndrome post-traumatique dans Motor Girl. Des séries qui au départ ne sont pas faites pour cohabiter mais qui pourtant se mélangent très bien avec beaucoup de sensibilité et quelques pointes d’humour. L’auteur emploie un ton résolument décomplexé pour cet épisode, la menace est réelle et clairement définie dans le temps. Empreinte de réalisme, ce drame à l’échelle humaine a une explication scientifique et plausible. Là où les deux big two auraient joué la carte de la surenchère pour partir dans une croisade cosmique impliquant une multitude de personnages, ici il n’en est rien. L’histoire se déroule de manière très sobre en alliant simplicité et efficacité. Moore opte plutôt pour un comité restreint. Il ne se focalise pas seulement sur sa trame principale. Il y ajoute des « historiettes » à chaque protagoniste, ce qui amène plus de légèreté qui contrebalance à la gravité du récit. Des situations assez cocasses dont l’humour ne coupe jamais le fil conducteur de son intrigue. Un bel équilibre scénaristique qui ne patauge jamais dans le statique.
Pour le graphisme, que dire de plus que tout est dans le même esprit que le scénario. Une narration visuelle qui déborde d’humanité. La mise en page est à la fois limpide et juste pour servir un dessin classieux. Tout y est parfaitement proportionné comme pour l’impeccable gestion du noir et blanc, la nuance de gris foisonne également. Le tracé découle naturellement, il offre une palette variée jouant la carte de la finesse. Les planches sont chaleureuses et offrent des cadres riches tout en gardant une certaine fraîcheur. Les héroïnes sont loin des canons de beauté venant de la distinguée concurrence. L’artiste met un point d’honneur à ce que la représentation de ses personnages soit le plus proche possible du réel. Son trait se veut réaliste mais en même temps humoristique en ce qui concerne l’expressivité de Zoé. Quand la mine de plomb réussit le sans-faute…
Pour conclure, Cinq Ans peut être abordé au départ comme une curiosité éditoriale. Mais qui par la suite est apprécié comme un cocktail corsé mais un brin secoué pour tous les fans inconditionnels du bien-nommé « Terry-verse ».
Chronique de Vincent Lapalus