Malgré tout

C’est un beau roman, c’est une belle histoire … Comment ne pas ressentir un véritable coup de foudre pour Malgré tout de Jordi Lafebre paru chez Dargaud ? Cette romance non pas d’aujourd’hui mais intemporelle, cette comédie romantique au pays des « sexas » sublimée par l’originalité de la narration et la beauté des illustrations nous touche en plein cœur.

Un p’tit coin de parapluie, pour un coin d’paradis. C’est sur ces images de parapluies que commence et s’achève ce magnifique roman graphique. Presque quarante années séparent ces deux instants.

Entre les deux, on va remonter le fil du temps et découvrir l’amour qui unit Ana et Zeno si éloignés et pourtant si proches. Une histoire de Z à A. D’un côté donc Zeno, le célibataire plein de charme un brin cœur d’artichaut, rêveur, bourlingueur, éternel étudiant qui va mettre 40 ans pour produire sa thèse dont le thème n’est autre que la réversibilité du temps. De l’autre Ana, une main de fer dans un gant de velours, les pieds bien sur terre, une battante qui se dévoue corps et âme pour la ville dont elle est le maire, soutenue par Giuseppe, son mari, «l’homme idéal pour elle, et même un peu plus ». Et entre ces deux-là, Zeno et Ana, Ana et Zeno, une magnifique histoire d’amour.

Une histoire d’amour ? Des histoires d’amour ! Ana et Zeno bien sûr, mais aussi Ana et Giuseppe, Julia et Roberto, Xavier et sa femme… Les personnages secondaires sont également extrêmement attachants et servent le propos.

Mais revenons à nos deux tourtereaux.

Ce sont les lettres non envoyées et le fil du téléphone qui érigent le pont, au sens propre comme au sens figuré qui malgré le temps, malgré la distance, malgré tout, les sépare et les réunit à la fois.Ce téléphone qui résonne très tard dans le bureau d’Ana nous offre de magnifiques scènes empreintes de poésie et de lyrisme où la réalité semble se fondre dans le rêve, ou peut-être est-ce l’inverse.

On peut lire ça et la que le récit débute par la fin. A vrai dire oui et non, Oui, ça débute par la fin dans ce sens qu’on commence par le chapitre 20 de cette romance et qu’on va remonter le temps jusqu’au début de l’idylle.

Et peut-être non car ce chapitre 20 pourrait tout aussi bien être considéré comme le premier chapitre d’une histoire qui s’intitulerait « Le temps retrouvé » ou « Quarante ans ans après. »

« – Qu’arrivera-t-il après ce baiser…?

– Nous n’en avons pas la moindre idée… », peut-on lire dans la case noire qui le clôt.

On y croit à cette formidable histoire d’amour à distance. Les personnages nous semblent bien réels. Et pourtant… L’univers du conte, de la fable n’est pas loin. Pas d’indication de temps, ni de lieu : une ville qui peut être n’importe quelle ville. Indication de temps ? C’est le même téléphone de la fin des années cinquante qui trône sur le bureau de la jeune Ana prenant ses fonctions et d’Ana partant en retraite. Même remarque au niveau des vêtements, du foulard noué rose au manteau croisé porté à la fois par Ana trentenaire et Ana sexagénaire. Intemporalité, temps suspendu, à la fois très proche et à des années-lumière du nôtre.

Quant aux sœurs campées devant la librairie dont a hérité Zeno, ne seraient-ce pas les trois fées veillant sur lui?

On connaît bien le tandem Zidrou au scénario, Jordi Lafebre à l’illustration. On leur doit notamment le bouleversant Lydie, La Mondaine et Les beaux étés. Malgré tout est le premier ouvrage que le dessinateur catalan réalise en solo. Et pour un coup d’essai, c’est un coup de maitre !

Les planches, par leur mise en couleur et l’énergie qui s’en dégage, sont absolument splendides.

L’auteur a opté pour une mise en page on ne peut plus classique : un gaufrier de six cases à l’exception des échanges épistolaires où les cases cèdent leur place à trois bandes. Ce procédé offre une grande lisibilité et nous permet de mieux apprécier l’élégance du trait, le dynamisme du mouvement et l’extrême expressivité des personnages notamment dans les regards qui retranscrivent si bien les différentes émotions. On peut y lire tour à tour l’étonnement, l’agacement, l’amour, la bienveillance, la tolérance, une immense tendresse…

Véritable hymne à l’amour empreint de poésie, d’humour et de sensibilité, Malgré tout est une parenthèse enchantée , un délicieux moment volé au temps, un chemin de traverse où il fait bon se perdre et oublier les tracas et fracas de notre époque. Un pur bonheur qui nous met sens dessus dessous!

Chronique de Francine Vanhée

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