NEW YORK CANNIBALS

NEW YORK CANNIBALS, le nouvel opus du tandem François Boucq et Jérome Charyn édité chez Le Lombard célèbre en fanfare les retrouvailles de deux géants.

Après La femme du magicien, Bouche du diable puis Little Tulip il y a 6 ans, les complices envoient encore du lourd nous proposant incontestablement l’un des titres les plus attendus de la rentrée et sans doute aussi l’un des plus convaincants : Un conte moderne ingénieux et audacieux, une suite inspirée qui sent bon le macadam, la grisaille et le béton.

Une fois encore François Boucq a apporté l’étincelle et son complice son savoir-faire, sa science de la narration pour donner naissance à un récit captivant et addictif. Le duo est rodé et la magie opère à nouveau. Le grand prix d’Angoulême s’est approprié une histoire sombre, intense et tendue et nous envoûte avec une mise en cases intelligente et une technique impeccable. L’écrivain américain installe un univers riche, brutal et singulier. Il signe un polar excitant qu’il campe dans une ville de New York qui le hante et l’habite. Le prolifique romancier nous guide dans les tréfonds d’une fourmilière où des humains luttent pour leur survie. Dans son antre, les dangers sont à chaque coin de rue et on progresse fébrilement en compagnie de nos héros. Les auteurs nous entraînent à la rencontre d’une faune inquiétante, au milieu des trafiquants, des junkies, et des vampires. Ce sont pour la plupart des personnages charismatiques savoureux mais sérieusement dérangés et pas toujours fréquentables. Ils transposent dans la grande pomme les horreurs du goulag. Parfois les ficelles semblent un peu grosses et pourtant c’est un régal ! Tout est rapidement oublié car au bout du stylo, il y a un dessinateur expérimenté et génial.

20 ans ses sont écoulés et c’est un réel bonheur de retrouver Azami et son protecteur. La petite fille a bien grandi. Elle est devenue une policière courageuse, bien informée et une femme en mal d’enfant. C’est aussi une athlète bodybuildée, au corps magnifié de nombreux tatouages, une guerrière qui a transformé son corps à l’aide d’anabolisants. L’abus de médicaments a eu des effets dévastateurs. Elle est aujourd’hui stérile alors quand lors d’une intervention, elle trouve dans une ruelle un angelot tombé du ciel, elle prend immédiatement la décision de le garder ce qui signera le début de nombreux problèmes. Elle pourra compter sur son père adoptif, Pavel un tatoueur reconnu au caractère bien trempé qui sera bientôt rattrapé par un lourd passé. Quelques fantômes ressurgissent et ils se souviennent parfaitement de son talent.

Concernant la partie graphique, François Boucq opte pour un dessin criant de réalisme. Les décors sont exécutés avec soin sans pour autant tomber dans la représentation photographique. Nous ressentons en amont un travail basé sur une documentation solide. Le dynamisme, la fluidité, le mouvement accompagnent la narration à la perfection. La bande dessinée est une écriture « crobarée », une création de l’image mélodique et orchestrée. Les hachures sont présentes pour donner à l’illustration du relief et du modelé. Il en est de même pour l’encrage, que ce soit à la plume ou au pinceau, nous restons dans cet esprit d’artisanat visuel qui monte d’un cran supplémentaire pour rester dans le domaine de l’esthétique pointue. Quand l’onirisme fait son entrée, le crayonné se dispense d’arrière-plans pour se concentrer uniquement sur l’action. La mine de plomb déchire littéralement la réalité et la planche pour apporter une touche de surnaturel à une narration sordide et contemporaine.L’agencement des gaufriers possède une forte orientation avec des cases aux formes majoritairement rectangulaires possédant deux particularités. La première est due aux constructions verticales d’une métropole aux buildings immenses ce qui génère un mouvement du regard qui s’exerce de bas en haut. La deuxième avec une configuration horizontale quand l’action se déroule par exemple dans le salon de tatouage, la rue où les bas-fonds comme pour accentuer le côté terre-à-terre et prouver que l’être humain est fermement ancré au sol.

Bouncer bénéficie de plans panoramiques pour ses espaces sauvages du Grand Ouest, tandis que NEW YORK CANNIBALS lorgne plus sur une focale resserrée et suffocante typiquement citadine. Une large gamme technique se déploie alors sous nos yeux ébahis.

Alexandre Boucq et Denis Béchu s’occupent de la couleur avec la participation du dessinateur pour d’éventuelles retouches. Une pigmentation naturelle et organique est privilégiée pour les plans en extérieur. Elle bascule dans le lugubre pour représenter la pauvreté, et les déchets qui inondent les ruelles malfamées. Puis vire au cauchemar avec ses teintes rouge sang quand l’action s’abandonne à la violence. Cette palette chromatique assez évidente lorsque l’on est attentif à la mise en page reflète la décadence des années quatre-vingt-dix américaines et l’essor de la criminalité.

NEW YORK CANNIBALS se déguste comme un grand crû, c’est un album absolument somptueux et indispensable.

Chronique de Stéphane Berducat et Vincent Lapalus.

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