Je vous parlais il y a quelques mois d’un premier album remarquable, qui frôlait la perfection du nom de MIND MGMT. Œuvre directement sortie de l’imagination fertile du prestidigitateur Matt Kindt parue chez son escamoteur d’éditeur Monsieur Toussaint Louverture. Voilà donc sa suite qui est sobrement intitulée Espionnage Mental pour cette rentrée.
Megan vit une existence de rêve avec son cher époux Clive. Mariés et nageant dans le bonheur, ils habitent une résidence pavillonnaire typiquement américaine. Ils aiment participer à la fête annuelle des voisins. Ils échangent des mondanités et se lient d’amitié avec d’autres habitants. Tout va changer quand le quartier où il fait bon vivre devient une véritable zone de guerre où la psychose s’empare de ses résidents. Il est aussi question de l’histoire d’une sympathique lectrice, qui passe ses journées à dévorer avec délectation les romans de son auteur de mari. Mais une idée germe lentement, elle va donner la mort à son épousé sans trop savoir pourquoi sauf qu’instinctivement elle s’y sent poussée. Quant à la petite Ella, fillette qui possède la capacité de communiquer avec toutes les espèces animales terrestres, elle décidera de disparaître de la surface de la terre lorsqu’un organisme obscurantiste lui demandera d’envoyer ses amis animaliers dans des missions kamikazes. Qu’adviendra-t-il également d’une libraire marcherêve, d’une magicienne réputée et d’une troupe de cirque itinérant ? Disons-le tout de suite, ils ont fait partie à un moment ou à un autre de cette organisation secrète. Ce sont des personnages à pouvoirs qui ont préféré fuir dans l’anonymat ou tout simplement être abandonnés dans la nature par leur organisation suite à la rébellion d’Henry Lyme. Ce qui a eu pour cause un démantèlement. Meru refait surface avec une équipe composée de Bill, Henry, Duncan, Perrier et Dusty pour mener le combat contre l’effaceur et toute sa nouvelle clique du Mind Management. Hop je m’arrête là avant de vous en dire un peu trop chers amis lecteurs et lectrices.
Matt Kindt passe la seconde pour ce nouvel opus des mésaventures des espions à super-pouvoirs. Le récit devient plus oppressant et l’étau scénaristique se resserre pour nos protagonistes. L’auteur décide de faire de chaque camp, une force agissante voulant stopper l’autre pour dérouler le tapis rouge aux complots et intrigues à tiroirs. Histoire qui va littéralement nous retourner le cerveau pour nous tenir en haleine jusqu’au prochain et ultime tome. Série qui est la consécration voire le chef-d’œuvre absolu d’un artiste qui mène à bien un projet audacieux. Mais le tour de force réside dans le fait que le scénariste laisse toujours planer le doute, un écran de fumée concernant les motivations de chaque groupe. La manipulation mentale et le mensonge sont partout. Que ce soit dans la publicité, les flyers, les journaux, la télévision, les choix…Chaque acteur croit mener son existence comme il l’entend mais son destin ne lui appartient plus désormais. L’équipe de Lyme agit-elle réellement pour le bien de tous ? L’effaceur pense-t-elle aussi vraiment au bien-fondé de ses motivations propres ? L’humanité devrait-elle être libre de ses choix ou à l’inverse être contrôlée pour éviter toute dérive ou incident aux conséquences désastreuses ? Nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise pour le grand final de MIND MGMT qui jouera avec les nerfs du lectorat afin de mieux pourvoir le piéger. Matt Kindt nous promène sur différentes pistes pour s’amuser à nous remettre sur les rails par la suite. Un conte toujours construit de manière labyrinthique aux enchevêtrements complexes et indébrouillables. Tout est pensé et millimétré par un orfèvre.
Pour la mise en image, nous sommes esclaves du dessinateur comme pour le scénario. L’illustration se mélange au texte dactylographié pour rendre service à cette fable de la science humaine et sociale sur fond d’espionnage. Véritable casse-tête de l’esquisse dans lequel le trait peut être tour à tour frénétique, posé, multi-agencé et prendre bien d’autres formes (comme les dossiers qui jonchent les chapitres). Il utilise le crayon, la plume et le pinceau avec lesquels il étale délicatement l’aquarelle et les couleurs sépia. L’encre de chine et le fusain se mêlent aux montages et aux collages pour explorer, faire exploser les limites qu’octroie la bande dessinée à chaque artiste. Ces outils sont toujours présents dans le dessin comme à l’accoutumée. Nous avons affaire à une maestria graphique expérimentale venant de la main d’un « cartoonist » et styliste qui sculpte son univers visuel comme bon lui semble tout en réussissant l’exploit d’imposer sa sensibilité artistique et de faire travailler la vision du lecteur. Aisance, brio, facilité, habileté et maîtrise définissent Matt Kindt au dessin. Un ensorceleur de l’image.
Incontestablement MIND MGMT est une pierre angulaire sophistiquée et brillante qui démontre la puissance d’un prodige du comic-book. C’est une bande dessinée qui est à ranger dans la catégorie de ces beaux albums qu’il nous arrive de tenir entre nos mains, et qui nous laissent un plaisir et des souvenirs indélébiles. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !
Chronique de Vincent Lapalus.