Un soupçon d’herbes de Provence, quelques gouttes d’huile d’olive et un verre de Pastis, voilà exactement ce qu’il me faut pour accompagner la nouvelle bande dessinée de Serge Annequin Constellation(s), aux éditions Paquet ! Elle sent bon les vacances, le Mistral rafraîchit ma peau et ébouriffe mes cheveux. Je me trouve un petit coin à l’ombre, je parcours le paysage un peu brûlé par le soleil, écoute les cigales et me laisse, enfin, m’imprégner des odeurs de lavande enivrantes….
Gian, 17 ans, comme chaque été, passe quelques semaines de vacances chez son oncle Bruno et sa tante Emma. Depuis que sa maman est décédée, il vit dans un foyer. Cette immersion au milieu des siens lui fait le plus grand bien. Ils auraient bien aimé l’adopter, mais leur vie de bohème ne plaît pas aux autorités. Lors de son séjour, il retrouve Malou sa cousine, dont il est très proche.
Après une nuit agitée, le jeune homme a encore rêvé de la mort de sa maman, le réveil est un peu difficile. Il sort de sa torpeur et découvre sur son avant-bras une étrange blessure. Celle-ci le démange terriblement. Au loin, il aperçoit la gendarmerie qui discute avec les membres de sa famille. Au petit déjeuner, Bruno le taquine en lui disant que les policiers étaient à sa recherche. Luna, la fille de l’entrepreneur du coin, à peine arrivée des États-Unis est portée disparue.
L’auteur est pour moi, dans la bande dessinée, ce que sont Haruki Murakami et José Carlos Somoza à la littérature étrangère. Ils interprètent, tous, avec une immense dextérité cette impression de faux-semblant. Sommes-nous dans le monde réel ou naviguons-nous dans une fausse réalité? Si j’ai découvert, il y a peu, les albums de Serge Annequin j’ai d’abord dû apprivoiser ses personnages à figure animalière, non pas que cela me dérange, mais j’ai toujours besoin d’un petit temps d’adaptation ! Son titre Horla 2.0, sorti fin 2018 aux éditions EP, fut un vrai coup de cœur. Avec ce nouvel opus, il a réussi, une fois de plus, à me faire vibrer et m’ensorceler.
Ce qui pourrait ressembler à des vacances sans histoires, va se révéler être tout différent. Le lien qui unit, Luna et Gian, est fort et étrange. Elle arrive dans sa vie sans crier gare et va chambouler sa petite vie d’ado. Trois images fantômes apparaissent sur la carte SD de son appareil photo, une sensation de déjà-vu et l’impression vague qu’il est mêlé à la disparition de la jeune fille. Un croisement de deux chemins, pendant un court instant, qui laisse une drôle d’impression, tout reste en suspens et interrogation ! L’état second où il sombre, lui dévoile des images du passé et du présent. Comme s’il dormait, il revient à lui totalement dérouté. L’union de ces deux jeunes gens, sera scellée par un énigmatique tatouage…
Narrateur de grand talent, il accompagne ses récits par de somptueuses planches. Dans cette œuvre, il y décline un subtil échantillon. Parfois le dessin est doux, presque fantomatique. Puis surgissent des couleurs pastel, saumon, jaune et verte. Enfin, du noir, des gris, des bleus et de l’ocre qui donnent une vision plus céleste. Les planches varient au fil des pages, de par leurs formes et leurs styles graphiques. Elles sont grandes ou petites, de pleine page ou au format à l’italienne, parfois réalistes, irréelles ou proches du croquis. L’auteur travaille de manière traditionnelle en utilisant les outils suivants : feutre noir à pointe fine, puis une brosse et encre de Chine. Les couleurs sont un savant mélange d’aquarelle et de « Photoshop » pour gommer quelques (toutes) petites irrégularités !
Une envie de longue date de parler d’ « ovnis » l’habitait, mais il ne voulait pas tomber dans les clichés déjà rencontrés bien des fois dans le milieu du cinéma ou de l’écriture. Constellation(s) est à la hauteur, tout y est suggéré avec grâce et poésie. Un scénario inventif où l’on plonge avec ferveur dans ce monde subliminal et accrocheur.
Une ballade sensorielle s’y dégage et me donne l’envie d’enfourcher mon vélo, de partir à l’aventure et d’aller à la rencontre de Gian, Bruno, Emma, Malou et Luna… Et, qui sait, au détour d’un chemin de Forcalquier, je pourrais bien croiser Serge Annequin sur sa bicyclette et faire un bout d’exploration avec lui. Il me fera découvrir tous les petits sentiers qu’il a arpentés un certain été…
Chronique de Nathalie Bétrix