The Shaolin COWBOY

Installez-vous confortablement sur votre canap’ ou au comptoir d’un pub. Prenez une bonne pinte de binche (bière pour ceux qui ne maîtrisent pas le langage de soiffard) et préparez-vous psychologiquement à entrer dans un univers à la fois propre à son créateur et complètement « stratosphérique ». Toi aussi gamin viens, viens t’asseoir que j’t’explique. Vous êtes bien posés ? Go c’est parti pour deux-cent pages de pure folie douce ou le what the fuck est à l’honneur. Le responsable de tout ce bordel se nomme Geof Darrow, cela s’intitule Shaolin Cowboy : Star Trek et c’est édité chez Futuropolis.

Le personnage principal est un bonze, sosie de Katsu Shintaro, adepte du nunchaku et de kung-fu qui chausse sa plus belle paire de Converse All-Star Chuck Taylor rouge, s’équipe de son katana comme son cousin Zatoichi sans oublier le revolver six coups de l’homme sans nom. Et pourquoi c’la ? C’est très simple, partir à l’aventure avec pour seule monture un bourricot qui n’a rien à envier au pote de Shrek. Ce fichu animal ne sait pas la fermer et déblatère sans cesse. Ce moine guerrier, lui mutique par contre, parcourt son « Désert B » (les puristes comprendront) pour une destination inconnue mais dont le chemin de Bouddha sera jonché de fight/battle endiablés et chorégraphiés style Yuen Woo-Ping.

Le voyage initiatique se fera dans un monde dévasté à la Mad Max. Un univers ravagé par les cataclysmes et mutations en tout genre. Tout s’est cassé la gueule, les hommes se comportent comme des sauvages. La violence reste l’unique voie proposée, seuls ou en bande dont on ne sait pas qu’elle est la pire option. Voilà, les jalons sont posés et puis on s’en fout un peu de savoir c’qui s’passe. L’important c’est l’action et nous allons en avoir jusqu’à régurgiter.

Donc notre combattant errant à dos de mulet, traverse les plaines désertiques des ruines de l’ancien monde. Apparemment une multitude d’ennemis l’attend au coin d’une masse rocheuse, quelle est leur motivation ? On n’en sait pas plus pour l’instant et ça nous passe au dessus, mais dès les premières esquisses le ton est donné et notre virtuose commence un carnage qui va s’étaler sur près de deux cent pages en mode quasi ininterrompu. Le roi crabe, tête pensante de cette tribu d’illuminés, veut venger la mort de sa famille. Shaolin les a dévoré comme un bon plat de fruits de mers, et nous savons tous qu’un crustacé décapode radioactif et parlant a la rancune facile. Combats de ouf et sans chichis, le grandmaster distribue les bourre-pifs avec passion et le tourteau va vite s’en mordre les pinces ainsi que ses subalternes. Ils y passeront tous dans un déluge de raisiné, l’hémoglobine va gicler à flot jusqu’aux bords de vignettes et on en redemande !

Chapitres suivants, ce sont les créatures « mutos » qui seront à la fête aidées par un mort-vivant du nom de Mr Excellent. Un bébé viendra se mêler aux festivités, et notre prêtre bouddhiste se retrouvera malheureusement sur cette route faite d’un déchaînement de brutalité gratuite. Belote et rebelote, les kicks vont pleuvoir à tout va pour un grand finish dans l’estomac d’un kaiju gigantesque dont le dos sert de support à une vaste mégapole. Mucus gastrique acide, tuyauterie et fosse septique, bo (long baton) aux extrémités renforcées par des tronçonneuses. Une rixe délirante entre notre guerrier favori et un requin digne des Dents De La Mer contrôlé par mister Excellent la tronche de cadavre. Quand Leatherface jumelé à Bruce Lee croise le fer avec un mégalodon hyper vénère. Autant le dire tout de suite, ça dépote, ça découpe sec et sévère et ça ne fait toujours pas dans la dentelle. En dernière page, l’arrivée massive de zombies pour un volume deux tonitruant au futur programme alléchant.

Le mandarin religieux ne pratique ni dans le détail, ni dans la finesse, il distribue les chocs frontaux et mandales avec délectation et quand il le juge nécessaire, des coups de tatane et de coudes pour fracturer des bouches, péter des chicots et monter en l’air tous ses adversaires. Quand la célèbre trente-sixième chambre envoie sur Terre son représentant le plus illustre, ça finit forcément en bain de sang. Les cadavres jonchent le sol, le wu xia pian se mélange aux arts martiaux traditionnels combiné au western crépusculaire avec son imagerie du héros solitaire.

Geof Darrow auteur, c’est tenté de comprendre son état d’esprit. Il fût un intime de notre Jean Giraud-Moebius national, leur collaboration donna lieu au portfolio La Cité De Feu. Travail fusionnel, quand l’american touch rencontra la french quality. En a découlé une influence de vouloir être dans la continuité du maestro et concevoir son espace créatif tout-à-fait personnel sans frontières à l’imagination débordante. Une écriture en pilotage automatique sans barrières, les idées les plus folles et farfelues n’ont aucunes limites. Allant d’une simple association de mots comme le titre l’indique à des séquences complètement décalées que l’on oserait à peine imaginer, mais où va-t-il chercher tout ça ? On se le demande…Sa deuxième inspiration vient du travail en duo sur des scenarii de Frank Miller avec Hard-Boiled et Big Guy. Ouvrages à l’humour noir, assez acerbes où la violence est poussée à un paroxysme quasi grotesque. Franchouillardise qui prête à la rigolade mais d’un coin de l’œil exaspéré. Du grand n’importe nawak qui amène à une mise en chantier complètement dézinguée.

Tout cette longue diatribe pour amener au point fort de cette série « indé » un brin chtarbée, cette fulgurance graphique couchée sur papier. Ça part dans tous les sens pour mieux faire étalage d’une démonstration magistrale de talent signée Geof Darrow avec efficacité et humilité. Tout est dans la puissance du coup de crayon. De l’utilisation avec précision des perspectives, de la mise en forme, composition, pleines pages au gaufrier à la multiplicité, une minutie d’exécution mais servie avec précision. Sans oublier le concept-art et le design des personnages, un régal absolu qui fourmille d’éléments et qui aiguise les papilles oculaires du lecteur. Un grand savoir-faire dans la capacité à mettre aussi du mouvement dans les cases qui pourtant est réputé pour être un art statique voir figé. A tel point que Darrow fait parti de la catégorie restreinte d’artistes qui rendent aveugle à chaque arpentage de pages. Pour faire plus simple, ça charge tout azimut. Trop européen pour ses compatriotes et trop américain pour sa terre d’adoption, il est pour moi le mixte parfait entre le « punchy » de l’oncle Sam et du digne qualitatif de « fabrication » à l’européenne. Le dessinateur protéiforme par excellence. Bon je m’arrête là sinon la liste exhaustive de superlatifs sera sans fin.

Œuvre qui ne laissera pas dans l’indifférence, c’est beau de violence. Pas de cul entre deux chaises. Soit on va adorer, soit on va détester…

Format d’édition pourtant conséquent que j’aurai aimé encore plus grand pour rendre justice à ce travail de titan.

Pour finir et faire une spéciale dédicace à nos chers amis trekkies :

Shaolin Cowboy : Star Trek. « Terre et frontière de l’infini, vers laquelle voyage notre brave lama, au mépris du danger mais qui avance vers l’inconnu…là où le WTF et le foutoir sont rois dans leur plus belle incarnation dont Geof Darrow en est le daron ».

Chronique de Vincent Lapalus

©Futuropolis, 2020, The Shaolin COWBOY, GEOF DARROW.

 

 

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