Vipère au poing fait partie de ces ouvrages souvent rencontrés lors des études secondaires ou au détour du rayon « classique » d’une bibliothèque… Même sans l’avoir lu, tout le monde ou presque connaît. Il est bien probable que les différentes adaptations cinématographiques n’y soient pas pour rien non plus. Écrite par Hervé Bazin en 1948, il s’agit d’une œuvre de fiction, même si elle s’inspire de faits réels et de l’expérience personnelle de l’auteur. Ce « roman semi-autobiographique » traite d’un sujet difficile : la maltraitance parentale et les relations toxiques qui en découlent.
Frédéric Rébéna s’est saisi de ce monument de la littérature française pour l’adapter en une bande dessinée sensible et forte, éditée par Rue de Sèvres. Elle est le fruit d’un travail de recherche documentaire aussi précis que réussi. L’auteur s’est par exemple rendu sur les lieux où Hervé Bazin a placé son histoire, le château du Patys renommé la Belle Angerie, pour s’imprégner de l’atmosphère de l’endroit et faire des clichés qui lui ont permis de retranscrire les décors dans les cases, de donner de l’épaisseur aux personnages de cette famille dysfonctionnelle.
La bande dessinée s’ouvre sur la scène qui donne son titre à l’œuvre. On y voit Jean Rezeau, dit Brasse-Bouillon, personnage principal et narrateur de l’histoire, étrangler une vipère à mains nues. Le parallèle entre le reptile et la figure maternelle est constant tout au long de l’album ; Jean évoque d’ailleurs « le poison de regard » de sa génitrice, surnommée Folcoche par ses fils (contraction de folle et cochonne, ce mot de patois désignait les truies devenues folles et qui mangeaient leurs petits…).
Auteur, dessinateur et coloriste, Frédéric Rébéna a produit plus d’une centaine de planches en couleurs mais où pourtant le noir est omniprésent, renforçant les contrastes avec différentes nuances de jaunes et de verts, accentuant les regards lourds, intensifiant la sensation de huis-clos infernal. Le trait semi-réaliste est comme cassant, sec ; les bouches souvent réduites à un trait, les prunelles dures et froides. L’ensemble s’accorde parfaitement au quotidien cruel et mortifère qui rythme la vie de Jean et de ses deux frères, marqué par les maltraitances que leur fait subir leur mère sous couvert de rectitude morale et d’éducation rigoureuse, et par la lâcheté de leur père, entièrement dépendant de la fortune de son épouse, et qui ne s’oppose que bien trop rarement aux délires de cette dernière.
Néanmoins, il faut préciser que Vipère au poing n’est pas un catalogue tragique de mauvais traitements ; l’auteur y insuffle profondeur et sensibilité, force et résilience. Ainsi, les révoltes des fils, les « respirations » lors des parties de chasses, ou encore le monologue plein de fiel de Folcoche à son mari où elle évoque ses aspirations profondes dont la maternité ne faisait pas partie, sont rendues avec justesse et habileté.
Frédéric Rébéna offre au lecteur une adaptation brillante et efficace d’un roman marquant qui mérite amplement d’être découverte ! Je glisse ici qu’une adaptation des deux autres tomes d’Hervé Bazin serait drôlement bienvenue…
Chronique de Louna Angèle.

© Rue de Sèvres, 2025.
Si je suis tentée j’ai vraiment besoin de légèreté en ce moment hihi
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