Le mur de ma cuisine est recouvert d’une vingtaine de post-it. Si vous aviez l’autorisation de pénétrer dans mon antre, vous pourriez y lire les messages que nous nous laissons, ma fille et moi. Mais il n’est pas aisé d’obtenir le pass pour franchir notre porte d’entrée. Avec Lointains mes mots aux éditions Dargaud , Anaële Hermans et Sandrine Revel nous offrent un album sensible aux couleurs chatoyantes.
Claire est d’origine française, elle vit depuis quelques années à Madrid. Comme moi, elle aime les mots, ils font partie de son quotidien. Depuis un certain temps ils ont décidé de s’effacer de sa mémoire. Pour pallier ce manque, elle identifie les objets à l’aide de petits papiers. Lors d’un cours d’expression littéraire, elle se met à bégayer et peine à formuler ses phrases. Troublée, elle donne congé aux élèves. La traductrice, de formation, appelle son compagnon qui s’empresse de venir la chercher. La situation s’aggravant, il appelle le médecin qui leur conseille de se rendre à l’hôpital. A son réveil, Luis est à ses côté et lui annonce qu’elle a eu un AVC.
Jour après jour, Claire s’efforce de retrouver une existence normale. Elle reprend le travail mais peine à cacher ses soucis de formulation. Dans l’établissement où elle enseigne, on parle dans son dos. Les étudiants qui l’apprécient ne cachent pas leur embarras et ses collègues attirent l’attention du directeur sur son manque d’aptitude. Pour couronner le tout, ça devient difficile avec son conjoint. Pas facile de vivre avec une personne dont la personnalité a foncièrement changé. Abattue, elle met un coup de balai dans sa vie et quitte son emploi et son concubin.
Claire se rend en Galice le temps d’un été pour aider à nettoyer le littoral suite à une énième marée noire. Elle loue un appartement chez Beatriz qui, elle aussi, accompagnée de son mari, a décidé un matin de changer sa destinée. Une belle amitié naît entre les deux femmes. En marge de son activité journalière, elle partage des moments précieux avec les natifs. Entre les soirées animées au bistrot du village et les balades hebdomadaires, elle trouve même du temps pour s’initier à la plongée. Tous ces petits plaisirs lui permettent de reprendre confiance en elle et de sortir la tête de l’eau. La bienveillance des habitants et la sérénité des fonds marins, lui procurent force, énergie et l’acceptation que, peut-être, plus jamais elle ne sera comme avant.
Anaële Hermans aime raconter des histoires peu banales qui mettent en scène des personnes à la destinée peu conventionnelle. Elle nous fait voyager de l’Espagne au Burkina Faso, en passant par le Sénégal pour rejoindre Alep. Un saut au Congo avant de poser nos valises à Liège. Elle propose des récits poignants qui ne laissent pas indifférent. Sandrine Revel, est une illustratrice de talent dont la palette graphique est ornée de multiples pigments. Avec Lointains mes mots, on retrouve le coup de crayon qu’elle a utilisé dans Grand silence au côté de Théa Rojzman, bande dessinée aussi nécessaire que bouleversante, parue en 2021 chez Glénat. J’avais repéré la dessinatrice en 1999, avec le premier tome de la série jeunesse Un drôle d’ange gardien, dont le trait était plus vif. Au fil des années, ses lignes sont devenues plus douces et les teintes plus pastel.
Il n’est pas simple de parler de sujets aussi graves que la maladie ou l’infirmité que peut engendrer un accident. Dans cet ouvrage, tous les paramètres sont mis en œuvre pour que notre héroïne traumatisée trouve le courage de se remettre en question et la détermination essentielle pour avancer malgré ses failles… Notre ordinaire peut basculer à tout instant, vivons chaque jour comme si c’était le dernier et croquons la vie à pleine dents !
Chronique de Nathalie Bétrix


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