On pourrait dire que c’est une sorte de biographie de Fernando Pessoa par Nicolas Barral… On pourrait… Ce ne serait pas faux… Mais ce serait passer à côté de la nature réelle de l’ouvrage. Si Nicolas Barral se saisit des éléments concrets de la fin de vie de Pessoa, il y adjoint son regard empreint de poésie et d’imaginaire, et brode pour nous une fresque poétique des derniers jours d’un auteur énigmatique et mystérieux. Paru chez Dargaud, il s’agit d’un beau volume de 136 pages en couverture cartonnée.
L’intrigue se noue autour d’une indélicatesse : un journaliste entend les mots du médecin à Pessoa, et laisse entendre revenu au Diario de Lisboa, parution de presse lisboète, que l’auteur est mourant. Deux trames s’imbriquent alors pour tisser le récit de cet album ; une première voit le personnage de Pessoa vivre ses derniers jours, laissant transpirer les hétéronymes de l’auteur, interrogeant sur sa santé mentale, tandis qu’une seconde en forme d’enquête voit Simão Cerdeira, jeune pigiste, et écrivain en herbe, en charge de la rédaction de la notice nécrologique de Pessoa, prendre contact avec différents proches de l’auteur.
Au gré de cette « filature », ce sont témoignages, souvenirs et flash-back qui nous font entrer petit à petit dans l’univers romanesque et multiple d’un auteur hors norme. Avec un trait réaliste et dense, c’est le Lisbonne des années 1930 que Nicolas Barral nous offre, l’ambiance d’une époque en plus des curiosités architecturales comme l’ascenseur de Santa Justa, le Largo do Carmo, les vagues de la place du Rossio… Ce sont aussi des personnages, véritables ou fantasmés, qui ont fait partie intégrante de la vie de Fernando Pessoa, comme Henriqueta, la petite sœur de Pessoa, quelques connaissances et amis ayant croisés le chemin réel de celui qui fut rédacteur et traducteur de courriers commerciaux toute sa vie, ou comme les identités revêtues par l’auteur pour se glisser dans leurs « réalités » et en transmettre, par l’écriture, la substance… Ce sont plusieurs dizaines d’hétéronymes, au sens littéraire du terme, que l’on prête à Fernando Pessoa. De quoi remplir une malle de dossiers d’écriture… Plus que de simples pseudonymes, ils ont été pour l’auteur du « Livre de l’intranquillité », les incarnations d’auteurs fictifs possédant une vie personnelle imaginaire et un style propre à chacun. Existaient-ils pour combler la solitude ou la solitude était-elle nécessaire pour vivre pleinement une multitude de facettes ? Etait-ce une forme de trouble psychologique ou du génie créatif ? Quelle part la consommation excessive d’alcool, qui par une cirrhose l’emporta prématurément, avait-elle ? La fameuse malle existait-elle ?
La lecture est aisée, les planches organisées en vignettes rectangulaires ; la couleur est aussi esthétique que narrative, des tons tamisés, des ocres, des roses, des beiges… facilitant le repérage dans les souvenirs et les interventions des personnages. La couverture se démarque du reste de l’album avec l’utilisation d’un orange particulier, presque fluorescent, qui attire l’œil sur un portrait au regard triste et doux de Pessoa.
Nicolas Barral m’a embarqué dans une bande dessinée où il est question de la nécessité de l’art pour nous aider à vivre, pour embellir le quotidien. Je pense à un épisode où Pessoa échange avec son barbier au sujet d’un ballon et que je ne peux expliquer ici en détails ; j’espère avoir attisé votre curiosité… Deux planches dont les dessins et le propos ne me quitteront plus.
« Voilà pourquoi tous les ballons ne se valent pas. Voilà pourquoi la littérature est nécessaire. »
Forcément je vous engage à cette lecture empreinte de mélancolie parfois mais surtout porteuse d’envie, de curiosité et d’espoir parce que même si le sujet principal est la fin de vie d’un auteur marquant du patrimoine littéraire portugais, il est aussi question dans l’épilogue des projets d’écriture de Simão Cerdeira… Qui dans la dernière case de l’album observe dans le ciel, un ballon…
Chronique de Louna Angèle.


© Dargaud, 2024.
Un très émouvant roman graphique !
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