Que vous cherchiez la fraîcheur, ou à vous évader pour les vacances ; que vous soyez passionnés de courses en solitaire ou que le sujet vous soit inconnu, j’ai LA bande-dessinée qui va vous transporter. « J’y vais mais j’ai peur », journal d’une navigatrice, est le récit autobiographique du premier Vendée Globe réalisé par Clarisse Crémer, une jeune passionnée reconvertie en skippeuse. Il est publié par Éditions Delcourt dans la collection Encrages. Le Prix orange 2024 est mérité, avec Maud Bénézit aux dessins. Les deux autrices proposent un récit au long court, riche, immersif, truffé de détails, sans jamais être assommant. Le dessin est très efficace, dans son rythme, ses couleurs, sa traduction des ambiances, et de ce que vit notre héroïne. Entre la multitude des tâches, la nécessité d’être toujours à l’écoute des bruits du bateau, de gérer son stress, de rester dans la course, il ne faut pas s’oublier ; au risque d’avoir de sévères hallucinations… Je pense à « dans la combi de Thomas Pesquet », en un peu moins décalé, plus dans l’instant présent – et je souhaite à cet ouvrage le même succès. Une énergie qui fait pousser des ailes, émotions garanties !
« C’est une somme de petites choses, de rencontres et de choix qui m’ont lentement et progressivement amenée là où je suis. » Clarisse n’est pas née en bord de mer, sa famille n’avait pas d’embarcation. Ses grands-parents paternels lui ont néanmoins transmis l’amour de la lumière littorale, si belle, unique, et universelle à la fois. Elle développe une passion pour la voile en 2006, en participant au trophée des lycées. Puis elle se laisse porter par son potentiel dans un cursus prestigieux, mais où elle ne se réalise pas pleinement. Sa rencontre de Tanguy, skipper professionnel, son besoin de quitter Paris, son amour du sport extérieur et son esprit de compétition la conduisent à une première mini-transat, vécue comme une révélation : elle est à sa place. Après plusieurs petites courses, alors qu’elle prépare la solitaire du Figaro 2019, un gros sponsor lui propose le mythique Vendée Globe : un tour du monde sans escale, en solitaire, et sans assistance.
Après une sacrée préparation, notre protagoniste s’élance sur la ligne de départ. Le mât fait 17 fois sa taille, l’inventaire vestimentaire est minimaliste. Elle part avec 11 sacs de nourriture, 5 sacs de voiles, une détermination incroyable et une bonne dose de débrouillardise. Il faut parfois arbitrer vite entre rapidité et sécurité. Accepter surtout le manque cruel de sommeil. Clarisse n’a par contre pas vraiment souffert de la solitude. Il faut dire qu’elle n’est pas tout à fait seule à bord… Elle nous partage de croustillants dialogues intérieurs, entre sa part challengeuse et sa part plus anxieuse. Il y a dans les courses en solitaires la même dynamique qu’en alpinisme (discipline qui m’impressionne depuis l’enfance). Pourquoi faire le Vendée Globe alors qu’on risque la mort ? Pour la beauté à couper le souffle des paysages et espèces rencontrés, et pour cette grande confiance en soi qui naît du dépassement. Et à l’arrivée, l’incrédulité face à l’engouement du public, après tant de semaines sans voir une âme.
Fidèle au quotidien vécu en mer, la dessinatrice a une belle capacité à passer du petit personnage réalisant de multiples actions, à une séquence en plan large, où le temps s’arrête. Les onomatopées jouent un rôle central, ajoutant une bande son où chaque bruit à son importance. Rrr ? Clac ? Crii ? Le bateau parle, il faut savoir l’écouter et réagir vite ! L’aquarelle est presque une évidence, pour ce carnet de bord maritime, et l’utilisation du noir est des plus à propos. Les petites cartes permettent de suivre la progression et de mesurer tous les changements d’heure vécus ; et les légendes apportent concret et contexte. Derrière la belle vidéo du passage de Cap, un mois sans douche, du froid, de grosses frayeurs ! Mais aussi des moments suspendus, gravés dans la mémoire.
Les autrices nous proposent d’accueillir la complexité, sans jamais nous perdre en route. Il y a une richesse dans le parcours de Clarisse, dans sa façon de vivre pleinement l’aventure, pas en mode robot, dans la technicité de ce sport extrême aussi. Le rôle des sponsors est décisif, l’album se conclut sur l’abandon de celui de Clarisse et la place des femmes dans le sport, qui reste un combat ; et sur la joie d’avoir un nouveau soutien financier et technique et de repartir cette année. Ohlala, je croise les doigts pour cette nouvelle aventure hors norme !
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.


© Éditions Delcourt, 2023.