Pas de Français en quart de finale du tennis aux Jeux Olympiques de Paris 2024 ? Qu’à cela ne tienne, si le drapeau bleu-blanc-rouge à cette discipline vous manque, éteignez le poste et lancez-vous dans la lecture de la formidable bande-dessinée Suzanne ! Madame Lenglen, protagoniste de cette belle biographie, fut en effet la reine des courts dans les années 1920 ! Numéro 1 mondiale pendant 8 ans, une extension du stade Roland-Garros porte son nom, et ses jupes, légères et révolutionnaires pour l’époque, ont inspiré l’architecture du toit rétractable de ce « court Suzanne Lenglen », inauguré en mai 2024 pour les JO. L’anglais Tom Humberstone rêvait d’une édition française pour son roman graphique, et notre championne mérite vraiment de ne pas tomber dans l’oubli. Les éditions Ankama ont répondu à son appel, avec un ouvrage classieux. Personnage au caractère entier, elle est mise en valeur par un choix de couleur original, une ligne claire, une mise en page aussi visuelle qu’un bon match, un scénario enlevé. Quelques pages complètent élégamment l’histoire avec un glossaire, des photos et informations précieuses. Une lecture parfaite pour cet été !
Alors que Suzanne a 11 ans, son père décide qu’elle deviendra la plus grande joueuse de tennis du monde. Il l’entraîne très dur, et en seulement 3 ans, elle commence à enchaîner les victoires, au point d’être surnommée « la petite sorcière ». Première star internationale du tennis féminin, elle apprend à gérer la pression de la harde de journalistes qui la suit. Les réactions du public sont très fortes, dans l’adhésion comme dans le rejet. En préférant une jupe au dessus du genou (et non aux chevilles) et un T-shirt, Suzanne libère ses mouvements. Elle crée l’événement en se déplaçant avec fluidité et rapidité, atteignant souvent la perfection. L’exigence du père reste néanmoins pesante. Le jazz, le cognac et les joies de la célébrité aux côtés des plus grands sont des échappatoires dans une vie rythmée par la compétition, qui laisse littéralement peu de temps pour reprendre son souffle. Suzanne souffre parfois d’une méchante toux… Elle n’est par ailleurs pas rémunérée durant ses années en « amateur », paradoxe des règles du tennis. Le palmarès est d’autant plus époustouflant : 241 titres, une série de 181 victoires et un pourcentage de 98 % de matchs gagnés ! Elle a tout donné pour son sport, au point de fragiliser sa santé.
Les nuances de rouges et de bleus permettent d’obtenir un bel équilibre entre l’ancrage dans le passé, l’énergie et la modernité de la sportive, et la mise en avant des émotions. Celles-ci ne manquent pas, la sportive connaissant un stress important, des crises, des moments de faiblesse mais aussi des instants suspendus, entre force et bonheur d’une telle réussite. Les traits stylisés et réalistes sont totalement maîtrises. L’image forte d’un dos féminin lacéré par un corset rappelle à quel point les femmes pouvaient être contraintes et dominées dans leurs activités. La joueuse acquiert une répartie à la hauteur de son renvoi de balle, donnant l’occasion d’autant de dialogues croustillants que de belles scènes d’action. Le match du siècle, à Wimbledon en 1926, nous tient en haleine, avec une caméra centrée sur Suzanne, qui se démène pour gagner, comme dans une danse très rapide.
La lecture de l’album met en évidence à quel point certains sujets restent d’actualité pas moins d’un siècle plus tard : la liberté, avec la place et le sort des femmes dans le sport, la question des tenues, quand certains crient bien vite au scandale dés que l’on sort du cadre. L’égalité, avec la question de la précarité des sportifs (40 % des sportifs français qualifiés à Rio en 2016 étaient sous le seuil de pauvreté). La fraternité, dont Suzanne fait preuve dans ses échanges avec ses adversaires comme dans son amour du jazz. Des valeurs universelles qui nous font aimer nos sportifs ! Merci à tous de nous faire vibrer, hier, aujourd’hui et demain.
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.


© Éditions Ankama, 2024.