On pensait en avoir fini avec lui, ah ben non. Le samouraï-pistolero de ce bon Geof Darrow revient en fanfare dans The Shaolin Cowboy T4 – Pour une poignée de beaufs chez Futuropolis. Que nous réserve ce nouvel opus ? Le plus européen des artistes américains aidé par le trublion Dave Stewart nous concocte un album totalement déraisonnable servi par une illustration et une colorisation assassines sur fond de western spaghetti sous acide. L’homme sans nom asiatique continue de nous mettre la trique électrique.
Ceci est la triste histoire d’un minuscule dragon (je ne vous parle pas de la créature légendaire seulement du lézard) qui à peine sorti de sa coquille, risque de finir en petit déjeuner dans la gueule affamée du mâle dominant paternel. Le célèbre vagabond du désert surgit de nulle part. Il vient à sa rescousse équipé de son attirail au grand complet. C’est-à-dire ombrelle, chapeau, katana et flingue à la ceinture. Serait-ce le célèbre Clint Mifune ? John Wayne-Bouddha ? Toshiro Eastwood ? Appelez-le comme vous voulez.
Une fois sauvé et afin de survivre à n’importe quel environnement hostile, le komodo devra suivre les préceptes du Bushido en compagnie du moine combattant. Les vilains pas beaux vont tomber comme des dominos. Qu’ils soient d’anciens adversaires, bébés à la tronche atrophiée, kaijus mutants, hydrozoaire géant ou poulet génétiquement modifié…ce cinquième dan de l’assassinat risque fort de tous les dégommer. Les terres arides tuent de mille façons, un simple gravier peut se transformer en une arme mortelle.
Notre guerrier silencieux sait flairer le blaireau et répondre par la force. Comme il est enseigné dans le Sutra du Lotus : «Un simple revers de la main suffit à faire ravaler son vomi à l’ennemi».
Concrètement The Shaolin Cowboy c’est quoi ? Tout simplement une dinguerie imaginaire et débridée rehaussée de chorégraphies psychédéliques sur fond de kung-fu tantrique dont seul Geof Darrow a le secret. Ce mec est un génie, complètement ouf mais c’est un prodige. Ce gars se démarque de ses contemporains, il les surpasse de manière exceptionnelle grâce à son coup de crayon démentiel ainsi qu’à sa force créatrice extraordinaire. Le leitmotiv de la série est de donner au lecteur du fun et de la baston à profusion en perfusion illimitée. Le bédéiste élabore son univers inimitable, ce que les majors du divertissement illustré ne sont pas en mesure de lui permettre. Dans notre monde, la violence est omniprésente. Darrow s’autorise à la retranscrire dans ses écrits avec une joie non dissimulée. Elle se déploie de manière physique, émotionnelle à grands renforts de situations grotesques ainsi que de personnages originaux voire pittoresques. A noter que l’auteur fait un réel effort et se torche d’un peu plus de dialogues que dans les volumes précédents, les différentes espèces papotent beaucoup et s’envoient des punchlines à la kalachnikov. Il puise ses influences chez Georges Lucas, Akira Kurosawa et Sergio Leone en autre-chose. Godzilla, les énormes phacochères qu’affectionne Miyazaki ou les robots déjantés de Mamoru Oshii passent également à la moulinette. Rien que ça…
L’art de Darrow s’exprime par un style brut de décoffrage et complexe. Son graphisme se couche sur le papier en format panoramique en se mêlant à une esthétique enragée. Le dessin est habité, le crayonné est littéralement possédé. Les lignes s’affinent. Les planches contiennent une foule de détails impressionnants, les cases en sont chargées à bloc. Geof Darrow est un passionné de design, texture et architecture. Il est aussi doué pour croquer les protagonistes hauts en couleur que des plans de rues ou vallées naturalistes. Il bouscule les codes du genre et bascule dans une autre réalité. Sa composition se veut féroce ainsi que sophistiquée. Le découpage s’élabore par un procédé de pleines et doubles-pages à outrance, la frénésie s’empare de la mise en scène. L’encrage est net, sans bavure et aussi affuté que la lame d’un sabre. Dave Stewart bonifie l’ensemble à l’aide d’une gamme de nuances contrastées, majestueuses sans omettre d’y ajouter divers effets visuels limite sonores pour les besoins de ce ballet imagé. Le carmin jaillira au même titre par hectolitre, le coloriste possède le talent de hisser le plaisir oculaire jusqu’à un niveau quasi obsessionnel.
En conclusion, je proclame Geof Darrow comme étant le boss du what the fuck en bande dessinée. Le pire, c’est que c’est vachement bien alors what else ?
Chronique de Vincent Lapalus.


© Éditions Futuropolis, 2024.