Soigne, maltraite et tais-toi !

L’ouvrage débute sur un procès dont nous ne connaissons ni les tenants ni les aboutissants. Il se tient au tribunal de Toulouse en septembre 2017. À la demande d’un des avocats, un extrait de l’émission « Zone Interdite » qui avait été proposé au public le 13 juin 2014 est diffusé. La vidéo montre des images choquantes, d’une horreur absolue, témoignant de la maltraitance infligée aux enfants polyhandicapés au sein de l’institut médico-éducatif (IME) de Moussaron, situé dans le Gers.

Puis les auteurs reviennent en 2007, pour nous présenter Céline Boussié, aperçue dans la scène précédente. Mère de deux enfants, elle habite à Nérac dans le Lot et Garonne et est ouvrière agricole. Ce métier ne l’épanouit pas. Cependant, elle garde un très bon souvenir d’une expérience en tant qu’aide à domicile et dit aimer s’occuper des autres depuis son enfance.

Elle postule donc dans l’IME cité plus haut. L’établissement se situe en pleine campagne. Le cadre, bien entretenu, semble idyllique. La direction lui propose un CDD tout en évoquant un contrat en alternance pour suivre la formation d’aide médico-psychologique (AMP). Dans un premier temps, Céline exerce dans la « pouponnière ». Très motivée, désireuse de bien faire, elle apprécie de travailler avec les enfants, mais prend conscience rapidement du manque de moyens et de la vétusté des locaux. Elle compte sur sa motivation pour changer les choses.

Tout en débutant sa formation en alternance, elle intègre ensuite l’unité 24 ter, où sont accueillis les enfants polyhandicapés, non verbaux, âgés de 4 ans et plus. Elle est alors confrontée aux atrocités vues dans l’extrait de l’émission télévisée.  Elle veut alerter, prévenir, sur les mauvais traitements infligés aux résidents mais ne rencontre qu’indifférence, peur et hostilité. La direction lui demande de donner sa démission. Une de ses formatrices de l’école lui conseille même de ne pas s’en mêler…

Commence une véritable descente aux enfers pour l’héroïne de ce documentaire. Mise en arrêt maladie pour dépression en 2013, elle décide de s’organiser pour devenir lanceuse d’alerte.  La suite du récit présente son combat mené pour les gamins de l’IME et les conditions de vie d’une lanceuse d’alerte : pressions, menaces sur elle et ses enfants, l’absence de moyens financiers, licenciement, etc. Elle crée un site internet, contacte les médias. Elle rencontre d’anciens éducateurs de l’IME, licenciés et condamnés par la justice pour avoir voulu dénoncer les exactions.

Puis retour en 2017 dans la salle d’audience où nous comprenons maintenant les enjeux du procès, Céline étant mise en examen pour des propos qu’elle a tenus sur la structure et son fonctionnement dans les médias. La fin du procès, favorable à la lanceuse d’alerte, signe la fin d’un long combat et des maltraitances exercées sur les résidents de Moussaron. Elle obtiendra le statut de lanceuse d’alerte en novembre 2017, grâce à l’article 6 de la loi Sapin II  (mise en place en décembre 2016).

Le scénariste, Ferenc, grâce à son talent, sait nous captiver avec une histoire pourtant difficile, certaines scènes sont à la limite du tolérable et nous révoltent (d’où une vérification de la date des événements pour nous persuader que les faits décrits se déroulent bien au XXIème siècle). Une présentation qui laisse le lecteur se faire son opinion. L’auteur montre le courage et la détermination de la lanceuse d’alerte qui n’a jamais abandonné, malgré sa santé, le manque de moyens, les intimidations et les difficultés liées à un milieu professionnel difficile et particulier (propos rédigés en connaissance de cause, travaillant dans cet univers depuis de nombreuses années). Il a écrit en étroite collaboration avec Céline Boussié, mais cette dernière avoue préférer la BD à son propre livre qui date de 2019 « les enfants du silence : donner une voix à ceux qui n’en ont pas » (cf interview de Vincent Henry, fondateur de la maison d’édition « La Boite à Bulles », dans le numéro 179 du magazine DBD).

Le dessinateur, Sanz, avec un dessin fin, tout en élégance, semi-réaliste, a pu représenter de manière convaincante certaines scènes difficilement soutenables. Il sait retranscrire les émotions (ou, malheureusement, l’absence d’émotions) des acteurs de ce récit, les atmosphères pour nous impliquer totalement dans l’histoire. N’ayant pu se rendre sur les lieux (IME, chambres), il a su les représenter en se basant sur les descriptions de la lanceuse d’alerte. 

Émergent de nombreuses questions à la lecture de cet album, la première : comment une telle maltraitance institutionnelle a pu se mettre en place et tenir aussi longtemps ? Combien d’autres établissements sont concernés ? Beaucoup de structures redoutent une médiatisation d’accidents ou de maltraitance : est-ce que les solutions proposées pour les prévenir (comme nommer les chefs de service « responsables de prestations », pointer comme à l’usine et proposer des prestations aux « clients » et non plus aux usagers pour déshumaniser un peu plus les personnes en situation de handicap et les salariés) sont à la hauteur des enjeux?… Autre question importante : serions-nous prêts, nous lecteurs, à nous engager comme le fait Céline ?

C’est une bd qui prend aux tripes, révolte, mais qui s’avère nécessaire, les médias accordant plus d’importance aux EPADH et aux crèches qu’au sort de ces enfants.

Le lectorat intéressé par le sujet des lanceurs d’alerte pourra satisfaire sa soif de connaissances avec une autre BD  Lanceurs d’alerte , paru chez Delcourt, qui, outre des témoignages, propose des fiches conseils pour « alerter ».

Nicolas Bourgouin, journaliste, auteur du documentaire diffusé dans l’émission «Zone Interdite » a écrit la péface. La postface est rédigée par La Maison des Lanceurs d’Alerte et Transparency International.

Le roman graphique se termine par quatre pages sur une brève histoire des lanceurs d’alerte illustrées par Sanz.

Chronique de Gédéon Groidanmamaison.

© La boite à Bulles, 2023.

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Matatoune dit :

    Formidable collection que celle-ci !
    Cette bd est indispensable à lire !

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