J’ai envie de vous offrir des chroniques dignes d’un calendrier de l’avent… Des petits trésors bien frais !
Voici pour commencer Par la force des arbres, un magnifique cadeau, totalement à rebours du blackfriday, et c’est tant mieux ! Le dessinateur Dominique Mermoux nous propose en effet une
somptueuse adaptation à l’aquarelle du livre autobiographique d’Edouard Cortès, aux éditions Rue de Sèvres; l’histoire d’un néorural, agriculteur asphyxié comme tant d’autres, qui, dépossédé de son troupeau, décide de s’isoler dans une cabane haut perchée, en plein massif forestier. Et nous partage son quotidien et ses observations. A chaque jour son lot de surprises animales et végétales ! Une invitation à ralentir, à se reconnecter à la nature, se régénérer comme le font nos espaces boisés, ou tout simplement à s’évader le temps d’une aventure tout en douceur, au rythme du printemps : n’est-ce pas là une pépite à savourer sous un plaid ? Pour tous les amoureux de la forêt, des oiseaux, et des beaux dessins !
Édouard était agriculteur. Englouti comme beaucoup dans le marécage des normes, il a fini par liquider sa ferme et vendre son troupeau de moutons, la mort dans l’âme. Fatigué du monde et de lui-même, il décide de construire une cabane, tout en matériaux de récupération, à 6 mètres de hauteur, dans la forêt de son enfance, qu’il connaît comme sa poche. La démarche suscite respect et admiration… Et peut-être même de l’envie. Il prépare ses stocks, coupe les réseaux sociaux, et entreprend de monter vivre dans son chêne – un majestueux sujet du Quercy. S’élever et s’isoler plutôt que de commettre un acte irréparable, avec le soutien de sa femme et de ses enfants, qui lui rendent visite chaque dimanche. Vivre une expérience à la fois introspective et en pleine conscience, dans l’instant présent, reconnecté à la nature. Restant parfois une dizaine de jours sans descendre, son poste d’observation se fait oublier, et de nombreuses espèces se révèlent, comme autant de trouvailles inestimables : salamandre, geai, chevreuil, écureuil, autour des palombes…
L’auteur raconte détails et secrets sur chacun, et on prend le temps, avec lui, d’apprécier les
richesses, qu’elles soient à poils, à plumes, à écailles, chlorophylliennes ou mycéliennes. Aller chercher l’eau à la source est aussi l’occasion de se rappeler combien elle est précieuse. Le récit offre une réconciliation où la colère et les mauvais rêves cèdent peu à peu la place à la sérénité et la curiosité. Une éducation à l’environnement, mais aussi une forme de sobriété heureuse, apaisante.
Par ses sublimes déclinaisons de couleurs naturelles, ce livre nous immerge dans les ambiances forestières : odeur d’humus en sous-bois, brume enveloppant les troncs, visiteurs discrets, mais nombreux… Le dessinateur nous offre de fabuleuses planches, à l’aquarelle douce et précise : pleines pages saisissantes, de jour comme de nuit, et très belle liberté du gaufrier, où les cases, sans contour, s’arrondissent, s’encadrent de feuillages, laissent la place à des objets dessinés à la façon d’un carnet de bord, avec un beau souci du détail. Du couteau à la loupe de botaniste en passant par chaque composante d’un bourgeon, on prend le temps de regarder les éléments avec attention… Et alors la nature reprend ses droits, des fourmis cheminant au coin d’une page au remarquable vol des oies. La libellule, aux extraordinaires ailes évanescentes, semble sortir de la page. Le dessin apporte force et calme, on y perçoit la rugosité du bois, l’humidité des jours de pluie, la vigueur d’un printemps retrouvé. Si j’osais, je dirais « à tomber », mais la construction est solide !
Après Ceux qui me touchent, Par la force des arbres est un nouveau récit de résilience et de reconnexion marquant de cette année 2023 : un livre superbe, qu’on prend un immense plaisir à parcourir.
Cet appel à se relier à la nature, mais aussi à être solidaire avec les agriculteurs, indispensables acteurs de nos paysages et de notre quotidien, pourra parler au plus grand nombre. Pour ma part c’est un coup de cœur 2023 !
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel


© Rue de Sèvres, 2023.