Qu’est-ce qui peut bien se cacher sous le titre énigmatique Douze aux éditions Delcourt? Un album assaisonné pour les amateurs de carpaccio et de viande crue. De grands chefs étoilés tels qu’Herik Hanna, Hervé Boivin et Gaétan Georges composent une carte des menus relevée au plomb ou à l’acier trempé. En leur compagnie, passer de la dégustation d’un excellent repas au trépas, il n’y a qu’un pas.
Fin de saison dans les Alpes, quelques individus sont invités dans un grand hôtel de luxe. Dès leur arrivée, le majordome ordonne à ce que l’on ferme les portes de l’établissement. Le personnel s’occupe des derniers préparatifs, il sera contraint lui aussi de quitter la demeure. Pendant une semaine, le domaine sera réservé pour une convention assez particulière. Leurs valises posées, les convives en profitent pour se jauger, se juger car en ces lieux se tient la réunion triennale du fleuron des tueurs mondiaux.
Un mécène multimilliardaire philanthrope aka L’Hydre, rassemble la crème des assassins afin d’organiser une compétition macabre. Le gagnant ou plutôt le rescapé empochera un joli pactole ainsi qu’un droit de regard exclusif sur les contrats lucratifs.
Ils sont tous issus d’horizons variés. Certains sont d’anciens agents gouvernementaux, policiers, militaires tandis que d’autres sont des meurtriers avérés, nettoyeurs professionnels ou criminels reconnus. Les adversaires se doivent de suivre un rituel précis. Ils sont dans l’obligation de faire connaissance en partageant un verre de même qu’un plat du «condamné» de leur choix.
Le banquet se déroule dans un silence total. Une fois terminé, chacun regagne sa chambre pour s’équiper car les hostilités vont démarrer. La salle de réception, les couloirs, le parking et les hectares de forêt deviennent un terrain de chasse où les concurrents auront le loisir de s’occire.
Les rivaux et ex-amants régleront leurs différents à l’aide de multiples moyens mis à leur disposition. Quand on pense qu’une simple fourchette peut se transformer en arme létale. Quel que soit l’accessoire utilisé, moins c’est tranchant et plus ça fait mal.
Maintenant la question se pose de savoir, à qui profite ce carnage ?
Herik Hanna nous régale d’un huis clos cossu agrémenté d’une touche noirâtre et rehaussé d’une pointe d’absurde. Il sérialise une litanie de violence en bonne et due forme conformément aux convenances que nécessite le genre. C’est un auteur chevronné doublé d’un véritable architecte d’univers qui jongle entre les grands classiques de la bande dessinée européenne et américaine. Il a notamment collaboré avec Sean Phillips sur Void 01, Trevor Hairsine sur L’Héritage du Kaiser ou Altamont conjointement avec la superstar Charlie Adlard. Hanna signe un tome 100% franco-belge pour sa nouvelle production, la narration se compose sur une partition en deux temps. La première repose sur la présentation du cadre idyllique et des différents intervenants, la seconde lance le rythme effréné de l’action jusqu’à son clap de fin. Cette technique permet de mieux saisir l’approche pertinente véhiculée par l’écrivain. Le récit est clair voire autant aéré que dense, les dialogues sont concis et parfaitement agencés. On se laisse emporter par l’histoire et guider par les personnages. Herik Hanna est un gymnaste scénaristique passant d’une discipline à une autre qu’elle soit purement commerciale, science-fictionnelle, historique ou anthropomorphique avec énormément de facilité et de talent. Son seul mot d’ordre est de donner une part conséquente à l’inspiration, la créativité et aux enjeux émotionnels.
Hervé Boivin, Gaétan Georges apposent une signature graphique glaciale et méthodique en adéquation avec le synopsis. Le dessin de Boivin est raffiné. Le trait manifeste une volonté ferme d’emprunter une trajectoire réaliste, sa composition cogne dur. Le découpage se peaufine, se polit pour jouer avec l’espace disponible. Les véhicules, décors, arrière-plans s’exécutent minutieusement à la manière d’une ligne-claire distinguée. La mise en page tire sa puissance d’un crayonné sobre et d’un superbe travail sur les aplats de couleurs. L’encrage pondéré pète le classicisme, l’illustrateur fournit un séquençage digne d’un sniper. Gaétan Georges applique une colorisation numériquement rigoureuse. Elle incarne le somptueux mélange de richesse, d’esthétisme soutenu et de beauté froide primordial à cet épisode survivaliste. Le rouge prend une place proéminente dès que les balles fusent et que les blessures jaillissent, la perception de la lutte trouve une incarnation adéquate auprès de cette nuance.
En conclusion monsieur Herik Hanna, il n’y a aucun doute à avoir concernant Douze. Votre machine à écrire interne fonctionne toujours à plein régime. Si un jour, l’envie nous prend de vouloir vous couper la tête comme pour le célèbre serpent mythologique…deux autres repousseront à la place, c’est tout bénef’ !
Chronique de Vincent Lapalus.


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