CAPUCIN Intégrale

Pour prolonger l’ambiance malicieuse et maléfique d’Halloween, rien de tel qu’une bonne bande dessinée médiévale fantastique, bien gore et drôle. Et en la matière, avec l’intégrale de Capucin, Florence Dupré La Tour nous offre, dans une explosion de couleurs, de violence et d’aventures, de redécouvrir une saga royale, très librement inspirée de la légende arthurienne, réunissant tous les codes de l’épouvante : ogre, squelette mort-vivant, momie, sorciers, rats, peau verdâtre, putréfaction, vomi, flatulences ! Cet épais volume – 317 pages – paru chez Gallimard, c’est aussi toute la jeunesse d’un fils de chevalier, qui bascule du côté obscur de la force, avec un désir de vengeance très fort qui anime tout le premier tome. Dans le deuxième, Capucin se découvre un jumeau étonnant, au côté d’un Merlin l’enchanteur trépassé et désopilant. Et le troisième et dernier tome propose une remarquable mise en abîme… N’hésitez plus, profitez de cette œuvre complète, et ouvrez sans plus attendre cette majestueuse couverture violette, brillante, envoûtante, encerclée de lames noires aussi menaçantes que le trône de fer ! D’autant que l’auteure est nommée pour le prestigieux prix Jacques Lob, à Bd BOUM : une raison de plus pour savourer son style unique (et lui souhaiter bonne chance).

Pourquoi les histoires d’horreur sont-elles parfois si délicieuses ? En plus de nous rappeler combien notre quotidien est doux en comparaison, de nous faire frémir, et parce qu’elles restent du ressort de l’imaginaire, tout est permis. Les interdits – de tuer, d’écraser les autres, d’aimer son frère, peuvent être allègrement franchis ; les légendes peuvent s’entremêler, faisant se rencontrer la Dahude ou Pégase et les enfants des chevaliers de la table ronde ; et l’on peut rire de tout, à commencer par la mort, qui donne à chaque prise de parole de feu Merlin une saveur particulière : qu’il se plaigne de son arthrose ou se détache un bras pour atteindre un trousseau de clé, tout est délicieusement drôle et décalé, pour notre plus grand plaisir. La masculinité n’est pas épargnée mais au contraire franchement moquée, et l’auteure, qui reviendra sur ce sujet avec « Jumelle », développe également le thème de la gémellité – qu’elle connaît parfaitement avec sa sœur. Et l’on se demande qui est le plus maléfique, de l’original ou de son clone… Les deux moitié passent leur temps à se chamailler ou se chatouiller, et l’on en vient presque à envier cet amour réciproque, cette union, cette force protectrice, qui contraste avec un univers impitoyable. Presque, parce qu’il y en a toujours un qui souffre quand le détachement s’opère… Et lorsqu’on retrouve un Capucin adulte, tout en muscle, sourire benêt et cerveau atrophié, il faut bien les branlées puis le sauvetage d’une Scarlet très en forme pour fendre enfin la carapace de son cœur… Puis finir par retrouver un homme apaisé, dans une fin vertigineuse.

Si la dessinatrice utilise régulièrement un rouge bien net dans ses œuvres, pour mettre en avant le sang et la colère, c’est ici souvent le rose qui ressort : des pustules de l’ogre aux yeux de sorcière, des chairs avariées au plus vil chevalier, affublé intégralement de son armure rose, en passant par le sang de muses… L’auteure s’amuse à nous entraîner dans l’absurde, à apporter aussi de la tendresse aux moments et créatures les plus sombres. Le vil maître surnommé « bouche dorée » fond d’adoration et de bienveillance devant ses filles, Capucin trotte sur un cheval aux yeux mignonesques, et lui-même arbore une coiffure dorée tout en rondeur et d’immenses yeux d’enfant naïf. Les décors sont géniaux d’inventivité, les visages, expressifs à souhait, jusqu’à fondre d’angoisse, se tordre de colère ou rayonner d’espoir. Chevaux et lances, racines tentaculaires, brouillard et géant sortent joyeusement des cases, encadrées à la main, et le vocabulaire graphique parachève celui du récit, moyenâgeux dans le moindre détail.

Cette réédition est l’occasion de rappeler que Florence Dupré La Tour sait de longue date nous parler à merveille de l’humain, dans tous ses travers, ses peurs, ses fantasmes… De l’horreur, mais avec la nuance parfaite de la comédie dramatique. Un ensemble graphique riche de tout l’éventail chromatique, parfaitement maîtrisé, qui nous évoque « Donjon » réalisé par Trondheim et Sfar – c’est d’ailleurs ce dernier qui a publié en 2006 le tome 1 de Capucin – ou encore  Furieuse de Geoffroy Monde et Mathieu Burniat… Bref un incontournable qui a fait rentrer l’auteure dans la cour des grands noms, où elle a depuis pleinement pris sa place !

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Gallimard Bande Dessinée, 2023.

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