La petite lumière

S’il y a bien une chose que je fuis plus que tout, un peu comme le rouge me direz-vous, c’est le soleil ou la luminosité dans toutes ses formes. Oiseau de nuit, seulement à l’aise lorsque les journées raccourcissent, Grégory Panaccione a su malgré cela attiser ma curiosité. Son adaptation en bande dessinée dans la collection Mirages des éditions Delcourt du livre d’Antonio Moresco La petite lumière, m’a sortie un court instant de l’ombre où je m’étais dissimulée…

Scénariste et dessinateur de nombreux titres, je reste encore et toujours fascinée par ceux qu’il a réalisés sans texte. Il n’est jamais facile d’interpréter une histoire sans y adjoindre la moindre parole. Grégory Panaccione le fait avec éloquence. Lorsque j’ai découvert Un océan d’amour en 2014, je me suis fait la réflexion, que s’il y avait ajouté un contenu écrit, le récit aurait perdu de son impact et de son originalité. A la « lecture » de Match, dont l’action se déroule sur un court de tennis, on suit les échanges acharnés de deux joueurs improbables qu’y n’ont clairement pas la même vision de la compétition. J’ai perçu chaque coup de raquette, entendu la foule les acclamer, vécu cette confrontation comme si j’y étais en train de contempler le public en liesse. Parfois il est agréable de faire juste fonctionner son imagination !

Quand on décide de tout quitter pour s’isoler dans un petit village perdu au pied d’une montagne, ce n’est certainement pas pour se retrouver absorbé par une étrange lumière qui s’allume tous les soirs dans les sommets montagneux à la même heure. Camouflée par des feuillages, à la tombée de la nuit, son regard jalonne les monts à la recherche d’un mouvement. Il questionne ses voisins en quête de réponses. Comme aucun villageois ne semble pouvoir donner suite à sa demande, il prend la décision d’aller sur place afin de retrouver la paix intérieure et vaquer à ses rêveries journalières.

Perdu dans les entrailles forestières, il découvre une petite bicoque construite de pierres et son annexe. À l’intérieur, un garçonnet est occupé à laver son linge sale. Ébahi par cette vision, il s’enquiert de ses parents. Le bonhomme lui répond qu’ils ne sont plus là. Il lui propose son aide, mais il refuse car il n’en a pas besoin. Il a l’habitude de se débrouiller tout seul. Un peu déboussolé, il repart au bas de la vallée. Intrigué par sa découverte, il retourne jour après jour auprès de l’enfant. Une étrange amitié se noue entre eux basée sur de longs silences. Malgré toutes ses recherches, personne ne sait qui est le bambin et ceux qui semblent le connaître un peu sont incohérents dans leurs propos. La réalité que nous côtoyons n’est parfois pas celle que nous soupçonnons…

L’auteur a travaillé avec divers scénaristes. Je citerai : Giorgio Albertini pour la série Chronosquad. Joann Sfar et Lewis Trondheim sur Donjon et Wilfrid Lupano pour l’incroyable aventure bretonne Un océan d’amour. Quand il est seul aux commandes, le ton change et le discours devient plus sombre. Il n’y a peut-être que pour Quelqu’un à qui parler aux éditions Le lombard que la tonalité est plus légère. Son trait est facilement reconnaissable, ses personnages souvent affublés d’une tignasse hirsute et d’un nez proéminent et si vous ne manquez pas d’attention vous pourrez vous rendre compte qu’il affectionne tout particulièrement les aventures dont les canidés sont les héros et s’ils ne le sont pas vous pourrez malgré tout en croiser un par-ci par-là.

Cet album est bouleversant, éblouissant et même si le contenu est doucement mélancolique, la relation entre ce duo improbable est tellement poignant que sous nos larmes prend naissance le plus beau des sourires.

Chronique de Nathalie Bétrix

© Delcourt, 2023.

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