Faire une chronique sur un album scénarisé par Eric Corbeyran est une gageure tant l’histoire est… irracontable sans avoir le sentiment d’en réduire la richesse. Je vais tout de même m’y essayer…
Slogan punk tiré de la chanson « God Save The Queen » des Sex Pistols, le titre de cet album one shot donne le ton de son contenu. Avec Corbeyran aux manettes, il fallait s’attendre à du physique, du rugueux… et l’on n’est pas déçu !
Dans un Paris du futur et une société dirigée par une dictature matriarcale, deux personnages complètement décalés (le côté « punk » donc) vont se croiser et unir leurs forces pour déjouer une machination politico-financière anti-écologique (rien que ça !). Les trajectoires initiales de leurs destins sont plutôt amenées à se percuter : Halen Brennan (« Halen », comme « Van Halen » aime à le préciser l’héroïne) est une paumée mercenaire recrutée par la compagnie de tourisme spatial Stella pour récupérer de précieux documents dérobés par un certain Jean-Claude Belmondeau, notre deuxième larron, membre d’une organisation clandestine de résistance aux magouilles des grands groupes.
Malgré un premier contact plutôt violent, nos deux héros vont finalement unir leurs forces pour tenter de déjouer le complot financier et politique qui risque de créer une catastrophe écologique majeure. Le nihilisme et le cynisme d’Halen vont s’unir aux convictions désabusées de Jean-Claude Belmondeau pour former un cocktail explosif au sens figuré comme au sens propre.
Les références et clins d’œil au passé de ce futur (donc notre présent en fait… vous suivez ?) sont nombreuses et savoureuses. Dans cet avenir, de nombreuses problématiques actuelles ont été résolues … mais pas toujours pour le meilleur. Le remède semble avoir été souvent pire que le mal. Ainsi la dictature matriarcale n’en reste pas moins … une dictature où le politiquement correct devient la norme et où toute déviance est sanctionnée.
Alors, soyons clair, la fin peut-être, sans la dévoiler ici, assez facilement anticipée. Mais ce n’est pas cela qui compte, c’est la manière d’y parvenir, les nombreux rebondissements, les personnages croisés, les situations loufoques, les dialogues cash et rythmés par une action au tempo élevé. Bref on retrouve l’efficacité de l’architecture des grands blockbusters du cinéma.
Au dessin, on retrouve Jef et sa « patte » si caractéristique. Il est ici aussi à l’aise que sur son récent Convoi (avec Kevan Stevens chez Soleil). D’ailleurs je me demande si Brennan Halen n’est pas la sœur d’Alex, héroïne de ce dernier… Alors que dans Convoi, Jef nous présentait un futur postapocalyptique « Mad-maxien », le dessinateur de talent nous plonge ici dans un univers futuriste entre le Cinquième Elément de Luc Besson et Blade Runner de Ridley Scott. Point commun néanmoins : la présence de véhicules anachroniques comme, ici, la R16 de Jean-Claude Belmondeau ou le fourgon Citroën type H de son ami Pedro. Les décors sont particulièrement soignés et riches, en particulier les plans larges urbains. Les vaisseaux spatiaux (parfois proches des dessins de Ron Cobb), androïdes, robots et objets technologiques en général regorgent de détails qui contribuent à l’installation de cette atmosphère futuriste.
Quant aux personnages, c’est un régal. Jef fait contraster le graphisme plutôt réaliste et relativement « sage » de certains d’entre eux avec des représentations quasi caricaturales pour d’autres. Pour ces dernières, on pourra apprécier les hypertrophies labiales et mammaires des dirigeantes de la société Stella ou la référence, finalement pas si caricaturale que cela, aux frères Bogdanoff (tiens, tiens ! un autre petit clin d’œil à « Convoi »…)
En conclusion, No Future est un ouvrage publié par Delcourt qu’on prendra plaisir à savourer comme on prend plaisir à regarder un bon blockbuster efficace.
Chronique d’Éric Descombes.

©Delcourt, 2023.