LES OGRES-DIEUX T4-Première née

Parfois j’aimerais qu’une histoire ne se termine jamais. Hubert et Bertrand Gatignol m’ont émerveillée avec leur feuilleton Les ogres-dieux pendant six ans. Avec Première née, parue il y a quelques semaines dans la prestigieuse collection Métamorphose des éditions Soleil, ils nous proposent une fin à la hauteur de toutes mes espérances. Oui, je suis comblée, mais je suis triste aussi de laisser derrière moi cette brillante quadrilogie. Un peu de moi s’est éteint également à la fin de cet album….

Pour ce volume, Hubert met en avant « Bragante » la première née. Enfermée en haut d’une tour, elle a pris conscience que son existence ne fut pas aussi admirable que certains veulent bien se l’imaginer. Sa petite fille « Elmire » vient lui rendre visite dans la prison dénuée de tout confort où l’aînée a pris place et dans laquelle elle cessa de s’alimenter. Cette dernière implore sa grand-mère de se ressaisir. Son aïeule va alors lui raconter toute sa destinée et lui expliquer pourquoi elle veut s’en aller.

Pour Bragante, les journées se limitent à un minuscule périmètre dans le château. Elle y vit avec toutes les autres dames de la citadelle. Curieuse, elle a un caractère fulminant. Elle brave régulièrement les interdits que lui impose son papa, notamment celui d’assister aux accouchements des multiples épouses de son géniteur. L’unique raison, c’est qu’elles trépassent toutes. Nita, sa tante, la surprend alors qu’elle est cachée pour regarder. Suite à tant d’horreur, la jeune demoiselle horrifiée annonce que jamais elle n’enfantera. Le monarque informé de la situation ne peut punir son enfant adoré, il s’en prend donc à sa belle-sœur qui aurait dû mieux la surveiller. Nita a la lourde charge de s’occuper de la progéniture du « Fondateur ». Intelligente et instruite, elle partage toutes ses connaissances avec l’héritière du roi. Lorsque son père part à la guerre, Bragante s’occupe de l’intendance de la forteresse. N’étant jamais allée au-delà de son cachot doré, elle doit s’en remettre aux serviteurs de son patriarche. Elle prend en charge l’éducation de la fratrie et partage son temps entre eux et la lecture des livres qui se trouvent dans sa merveilleuse bibliothèque. Son avenir elle le voit grand et elle en impose. Elle rêve un jour de prendre le pouvoir. Son avidité et sa soif de grandeur, vont être confrontées à celles de ses frangins, mais surtout Orobaal qui en grandissant lui tient de plus en plus tête. Bragante se bat sans relâche pour sauver l’honneur de ses cadettes, la prospérité de son royaume, mais surtout pour abolir la souffrance de ses sœurs face au machisme du souverain et de ses fils. Les jouvencelles ne naissent pas uniquement pour devenir mères et se taire….

Obscurs et lumineux, j’aurai traversé chacun de ces tomes avec un appétit à la dimension de ses protagonistes. Hubert en conteur accompli, a à maintes reprises élaboré des écrits où il décrit des individus hors-normes. Comme dans Peau d’homme (titre récompensé de nombreuses fois et à sa juste valeur) dans lequel on suit Bianca qui revêt une « peau d’homme » pour aller à la rencontre de son fiancé. Beauté, une trilogie, où l’on croise « Morue » pas gâtée par la vie et qui, par un subterfuge, va rayonner de mille charmes. Ou encore La Sirène des pompiersLe boiseleur et tant d’autres… Autant de scénarios qui mettent en avant des hommes ou des femmes à la recherche d’une propre identité. Les Ogres-Dieux est une série ambitieuse, profonde et remarquable. Chaque volume est magistral, autant par sa narration que par la beauté de ses illustrations. Il va s’en dire que ce qui rend ces recueils encore plus attrayants, ce sont les parties entrecoupées. Des textes illustrés qui présentent les différents personnages sont mis en avant dans les quatre volumes. Hubert y dépeint des portraits exhaustifs et cela permet de mieux appréhender toutes les caractéristiques de son œuvre. Puis il y a le dessin de Bertrand Gatignol. Un bouquet de tableaux luxueux tous plus beaux les uns que les autres. Je ne peux simplement pas arborer cela en passant d’une page à l’autre, il me faut m’arrêter un instant pour m’imprégner et admirer toutes les cases. Si elles ne foisonnent pas de détails et c’est bien ça qui me plaît, le trait anguleux, sobre et expressif de Bertrand Gatignol tire sa force de cette sobriété. Cette spécificité se démarque déjà dans l’attachant petit conte Pistouvi et le one shot élégant Le voleur de souhaits. L’album « Première née » est entremêlé de pages couleur or, dans lesquelles je perçois la particularité des enluminures russes du Moyen-âge.

La réalisation de ce dernier album ne fut pas des plus simples pour son illustrateur. La perte de son ami et scénariste, lui a fait vivre un passage sombre et lourd. Certainement qu’Hubert aura mis dans cet épisode les facettes les plus noires de sa personnalité. Moi j’y ai discerné comme une fin avant une renaissance… Ce fut une magnifique aventure, elle se termine en apothéose, jamais récit ne m’aura autant bouleversée !

Chronique de Nathalie Bétrix

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