Je fais partie de ces lectrices qui, lorsqu’elles abordent un livre, ne peuvent s’empêcher de tout lire : préface, remerciements, postface… Ma lecture de Jun s’est passée différemment. Ouvrage édité dans la collection Encrages des éditions Delcourt, il fait partie de ces récits qui incitent à la réflexion. J’ai dévoré l’histoire d’une traite. Je suis passée par plusieurs sentiments : la compassion, l’irritabilité, parfois le désespoir, mais surtout un grand désarroi ! Jun est la biographie de Choi Jun, un enfant autiste dont les parents ont pris le plus grand soin. Ce n’était pas une chose facile. Ils ont dû apprivoiser ce petit garçon, l’accepter, mais surtout, ils ont dû affronter le regard de la communauté qui n’était vraiment pas bienveillant. En Asie, peut-être plus qu’ailleurs, il n’est pas facile d’accueillir et de vivre avec une personne portant un handicap. Cette famille est forte, elle est aimante et elle a su identifier ses forces et son don pour la musique. Accompagné tout au long de son développement par ses parents, mais aussi et surtout par une petite sœur débordante d’énergie et d’amour, même si elle est parfois en colère contre ce grand frère pas comme les autres.
Après ma lecture, j’ai pris soin de découvrir les trois textes qui accompagnent cet album. Chacun est écrit par une personne qui a rencontré Jun ou qui a un lien avec le handicap. Jang Jae-Hyo, musicien qui porte beaucoup de respect à l’interprète qu’il est. Puis, celui du PDG d’une entreprise à vocation sociale qui emploie des citoyens ayant une déficience intellectuelle. Pour terminer, c’est au tour de Keum Suk Gendry-Kim de nous éclairer sur sa rencontre avec le jeune homme et d’expliquer la genèse de cet album. Si c’était à refaire, je commencerai par m’imprégner de ces trois écrits avant d’entamer le récit de cette extraordinaire famille.
Au départ, ils n’ont pas voulu voir que leur garçon était inhabituel. Comme souvent, on a tendance à vivre avec une sorte de déni et se dire que notre enfant a juste un peu de retard. Puis, les années passent et on se retrouve, de plus en plus souvent, devant des situations qui nous mettent mal à l’aise. Il y a également les amis, les proches et des professionnels qui minimisent notre ressenti. Certains pensent que l’on exagère, voir carrément que l’on invente et même que l’on éduque mal nos gamins. Heureusement l’amour que l’on porte à nos bambins fait que nous trouvons toujours un nouvel élan pour avancer. Se battre, ne pas écouter ce que l’on entend dire tout bas autour de nous et surtout croire aux capacités de ces êtres qui ne vivent, sentent et perçoivent pas les réalités qui les entourent comme tout un chacun.
Même si le jeune homme aura toujours besoin d’une béquille humaine pour faire une grande partie des choses courantes de la vie, il a toutefois trouvé une sorte d’équilibre et d’épanouissement dans l’apprentissage du pansori. C’est avec cet art qu’il a appris à partager et faire comprendre à son entourage toute l’étendue des sentiments qu’il a en lui mais qu’il ne sait communiquer !
Keum Suk Gendry-Kim nous a habitués à des œuvres qui ne laissent pas indifférents. Elle nous invite à découvrir son pays par ses histoires qui relatent la destinée de personnalités qui ont existé ou par des faits historiques qui se sont réellement déroulés. Ce ne sont pas des célébrités, mais des gens comme vous et moi, qui ont tout simplement un vécu hors du commun. Sa première bande dessinée Le chant de mon père raconte des souvenirs familiaux avec sa mère, lorsqu’elle habitait à Paris. Jiseul retrace ensuite une partie sombre de l’histoire de la Corée en 1948. Les mauvaises herbes nous emmène en pleine guerre du Pacifique, lorsque des jeunes femmes étaient vendues par leur propre famille aux soldats japonais, pour devenir ce que l’on appelait « des femmes de réconfort ». Une semaine avant la sortie de Jun, nous avons pu découvrir son adaptation du roman de Park Wan-Seo L’arbre nu aux éditions Les Arènes. Ce livre relate la relation amoureuse entre Lee Kyung, âgée de 20 ans, et l’artiste peintre Park Soo-Keun.
Dans tous ses ouvrages, nous retrouvons son trait délicat, généreux, vif et d’une expressivité imposante. Entièrement réalisé à l’encre de chine noire et au pinceau, je perçois dans sa manière de peindre de l’énergie, de la rage, ainsi que la plénitude graphique du talentueux bédéiste Hiroshi Hirata. Ce qui émane de ses planches est tout simplement d’une intense vitalité !
Le sujet de Jun me touche tout particulièrement. En lire le contenu m’a profondément émue. Il en ressort une inconditionnelle sensibilité. L’autrice a su retranscrire avec justesse les émotions et les difficultés auxquelles sont confrontées toutes les familles qui ont dans leur cercle de vie un enfant autiste. Je suis ressortie galvanisée, autant que je l’ai été à la fin de l’ouvrage de Steve Sillberman Neuro-tribus aux éditions Quanto. Il m’a, lui aussi, fait comprendre, qu’ils ne sont tout simplement pas « déficients », bien au contraire. Leur regard sur la vie et leur perception de l’environnement ne peut que nous ouvrir l’esprit, nous enrichir et finalement nous apporter une nouvelle vision du monde qui nous entoure…
Chronique de Nathalie Bétrix