Les fantômes de la rue Freta

L’auteur, d’origine polonaise, après la mort sa grand-mère, décida de partir dans le pays de naissance de celle-ci. Du voyage naît une bande dessinée Nous n’irons pas voir Auschwitz où il traite de l’histoire des juifs de Pologne de la Seconde Guerre mondiale à maintenant. Il avait jusque là toujours évité d’évoquer les conséquences de la guerre sur sa propre famille. Une lettre retrouvée chez une tante bouscule Jérémie Dres et réveille une « culpabilité endormie » : elle a été rédigée par Sonia, une grande tante, une des sœurs de sa grand-mère, la seule qui soit restée à Varsovie et qui a vécu dans le funeste ghetto avec ses jumelles, le reste de la famille étant parti avant 1941.

Cette tante est une inconnue, sa grand-mère, à travers ses récits n’en avait jamais fait mention. Sur la lettre figure une adresse. Avec ces maigres éléments, le scénariste et dessinateur commence son enquête : il veut connaître le destin de son aïeule. Pour cela, il voyagera beaucoup. Dans un premier temps, il se rend à Varsovie, au bureau de généalogie du Jewish historical Institute. Avec l’aide d’Anna Przybyszewska Drozd, il retrouve la trace de Sonia, et reconstitue l’arbre généalogique familial. Ses recherches le conduiront dans la fameuse rue Freta, au cimetière de Varsovie (où se trouve le mémorial pour les victimes du ghetto) mais aussi à Ellis Island, aux États Unis, en passant par Jérusalem (mémorial de Yad Vashem) et Paris (Mémorial de la Shoah).

L’histoire familiale du bédéiste est fortement liée à l’Histoire avec un grand H. Aussi, la lecture de cet ouvrage aussi épais que passionnant nous permet de parfaire nos connaissances historiques : sur Varsovie, première ville juive d’Europe et deuxième au monde après New-York ; sur les destins des migrants juifs aux USA ; sur le ghetto de Varsovie. Un des grands moments du roman graphique est la rencontre avec Samuel D. Kassow, auteur d’un livre internationalement connu Qui écrira notre histoire ?. Kassow a épluché les archives secrètes du ghetto de Varsovie, permettant entre autre d’y connaître la vie quotidienne et d’honorer la mémoire des milliers de victime.

La lecture est parfois éprouvante, l’émotion n’étant évidemment pas absente. Jérémie Dres sait être pudique, les épisodes émouvants sont abordés avec distance et retenue.

Le graphisme est original : les cases sont absentes, ce qui ne nuit en rien à la fluidité du récit, l’artiste maîtrisant parfaitement les codes de la narration. Les dessins, au nombre d’un ou deux par page, sont peu détaillés, mais se révèlent d’une efficacité redoutable, notamment pour la représentation des structures urbaines. Les gros plans sont légion et Jérémie Dres excelle lorsqu’il s’agit de croquer les protagonistes et leurs expressions.

Le choix des couleurs, claires et douces, contribue à atténuer la violence du récit.

Cette bande dessinée éditée par Bayard Graphic‘ est le fruit d’un immense travail de recherche. Elle se lit comme un véritable polar. Son créateur expose les faits, sans jugement ni prosélytisme, sur un sujet difficile. Son entreprise de devoir de mémoire à l’égard de sa famille lui aura de ce fait permis d’apaiser sa culpabilité.

A noter que l’auteur sera présent à la Maison de la BD de Blois, le 10 octobre, à 17h30, dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire !

Chronique de Marc Lécrivain et Cassandre Leguéré.

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