Ce que nous avons perdu dans le feu

Cet album est une adaptation en bande dessinée de quatre nouvelles tirées du recueil intitulé Ce que nous avons perdu dans le feu de la romancière argentine, Mariana Enriquez. L’ouvrage original, publié également aux éditions du sous-sol, contient douze nouvelles. L’auteur de cette adaptation est Lucas Nine, dessinateur argentin, fils du grand Carlos Nine.

Mariana Enriquez a reçu de nombreux prix (notamment celui du prix Imaginales et celui de l’imaginaire) pour son roman Notre part de nuit. La romancière excelle, à l’instar d’un Stephen King, à dépeindre à travers ses récits étranges et fantastiques la société argentine. D’autres noms prestigieux sont convoqués pour tenter de décrire l’œuvre de l’écrivaine, comme Lovecraft ou Barker.

Mais ici, pas besoin d’invoquer des monstres issus des entrailles de la terre ou des cieux lointains. Les monstres sont bien humains, victimes pour la plupart du capitalisme qui les a poussés à commettre les actes les plus abjects ; auriez-vous pu croire que les nouveaux-nés se vendaient pour payer une dose de stupéfiant ? Dans cette œuvre, c’ est une réalité.

Les quatre textes se déroulent à Buenos Aires : nous y découvrons le folklore, les légendes urbaines et les croyances populaires, inquiétantes et mystérieuses, la vie dans les quartiers pauvres, l’histoire de l’immigration et d’autres détails peu reluisants.

La première nouvelle, intitulée « l’enfant sale » narre la mésaventure d’une Porténos (habitante de Buenos Aires) : elle fait la connaissance d’un enfant « sale », dont la mère est toxicomane et enceinte. Peu après, un garçon des quartiers miséreux disparaît. Il est retrouvé mort, décapité… La chute est glaçante et brutale.

« Une évocation du petiso orejudo » le deuxième texte, permet aux lecteurs de faire connaissance avec un pan de l’histoire Argentine et plus précisément celle de l’immigration. Un car de tourisme propose aux vacanciers de découvrir les lieux liés aux assassinats et à leur meurtrier. Ainsi, nous apprenons qu’un certain Cayetano Santos Godino, enfant tueur en série, a vécu et sévit dans le quartier visité, dès son plus jeune âge. Il avait neuf ans lors de son premier crime « réussi » (ce n’était pas faute d’avoir essayé plus tôt…).

Le troisième texte, « Le patio du voisin », relate l’histoire d’une travailleuse sociale. Professionnelle au sein d’un foyer, accueillant des enfants abandonnés, dans des situations les plus horribles qui soient, elle est licenciée pour faute. En dépression et faisant face à la culpabilité, elle est considérée comme folle par son entourage bien que la réalité semble démontrer le contraire.

« Sous l’eau noire », désigne les eaux polluées du fleuve Riachuelo, un cours d’eau contaminé responsable de malformations et de cancers chez les enfants. Un policier y a justement poussé deux gamins. Un seul corps a été retrouvé. La procureure en charge de l’enquête apprend que l’autre victime, vivante, a été vue dans un bidonville. Elle se rend sur les lieux pour découvrir l’indicible.

Le talentueux dessinateur avec son style si particulier et l’utilisation de diverses techniques accentue le malaise.

Ses traits, parfois gras, volontairement flous pour représenter l’horreur, les monstres, ou alors très réalistes et fins, ajoutent un plus à l’étrangeté du texte. L’utilisation de photos, pas toujours retouchées, génère un effet surprenant et malaisant.

L’habilité des deux artistes fait que le lecteur est fasciné par l’horreur décrite dans ces pages à l’esthétisme certain et captivé malgré les abominations évoquées.

Une lecture recommandée, qui nous permet de prendre le pouls d’ un pays, hélas, bien éprouvé.

Chronique de Gedeon Groidanmamaison


© Éditions du sous-sol, 2025.

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