ABÎMES

Abîmes est un récit autobiographique fort, émouvant, paru chez Delcourt, dans leur collection Mirages. L’autrice, Lucile Corbeille, est dépressive, s’autodéprécie et n’arrive plus à travailler. Ancienne comédienne de théâtre, photographe, mariée et mère de deux enfants, elle a perdu toute joie de vivre. Une dispute entre ses deux filles au sujet d’une robe bleue sera le déclencheur d’un « voyage introspectif », visant à « démêler les nœuds ». En effet, elle portait ce vêtement, offert par sa grand-mère, sur une photo, lorsqu’elle était âgée de 2 ou 3 ans. À la mort de son père, elle dépose ce cliché dans son cercueil. Elle estime que la petite fille joyeuse qu’elle était y est également enterrée. Elle veut la ressusciter, d’autant plus que sa dépression à des conséquences sur son travail et sa vie de famille. Elle va devoir remuer son passé et fouiller dans les non-dits et autres secrets de famille. S’ensuit pour la créatrice une quête intimiste. Elle trouvera des réponses à travers des échanges avec sa mère et son oncle, mais aussi en analysant les clichés familiaux.

Elle comprend les traumas de son père et du frère de celui-ci. Les deux sont décédés jeunes, victimes de l’alcoolisme. En fouillant plus en avant dans le temps, la photographe fait la connaissance de leur père, un homme autoritaire, dur avec ses enfants. La compréhension de son passé permet à Lucile Corbeille de comprendre son mal-être et de pouvoir enfin avancer et passer à autre chose. Son travail d’analyse s’appuie sur la psychogénéalogie, concept qui part du principe que les traumas et autres secrets de famille ont des conséquences sur les générations futures. Son témoignage est authentique, elle dévoile une large part de sa psyché tout en restant pudique.

Graphiquement, l’album nous en met plein les yeux. La bédéiste retouche ses photos en numérique (détourage) puis travaille dessus en utilisant de l’aquarelle. Le résultat est juste bluffant. Le lecteur ne se contente pas de regarder un album photo. Les paysages sont sublimés. J’ai été touché de reconnaître Arromanches, les plages de Normandie et certains quartiers de Paris.

L’absence des détails des visages des différents protagonistes (yeux, bouches), peut-être pour préserver l’intimité de ces derniers, traduit le flou, une absence, un vide existentiel, mais également le mal être de l’autrice.

Talentueuse, la créatrice a d’autres cordes à son arc ; elle est également comédienne. Elle a ainsi mis ses talents d’interprète au service de son récit, avec un vrai travail de mise en scène, pour nous offrir un excellent moment de lecture.

La couverture, sublime, justifie à elle seule l’achat de la bande dessinée..

Ne passez pas à côté de la bibliographie à la fin de l’ouvrage qui vous permettra d’approfondir vos connaissances sur la psychogénéalogie.

L’artiste nous recommande notamment Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés. Elle en a tiré certains titres de chapitres et les passages oniriques de cette BD qui propose entre autres d’explorer la psyché féminine.

Chronique de Gédéon Groidanmamaison.


© Delcourt, 2025.

Laisser un commentaire