RESSOURCES : un défi pour l’humanité

La Chine vient de freiner son exportation de terres rares. Vous savez, ces métaux qu’on retrouve partout, dans les téléphones, ordinateurs, panneaux solaires, véhicules, machines, l’électro-ménager, la défense, etc. Cette décision menace déjà l’industrie automobile européenne, mettant des lignes de production à l’arrêt en ce printemps 2025. Trump a également fait de la question de l’exploitation des richesses souterraines ukrainiennes un point central de sa politique. Bref, vous l’aurez compris, la question des ressources est un sujet très sérieux ; stratégique, même. Mais évidemment, il est aussi complexe, et assez technique. Le traiter en bande-dessinée est une très bonne idée, mais aussi une gageure. Et c’est là que surgissent, comme deux cow-boys, deux excellents auteurs, aux éditions Casterman BD. Philippe Bihouix, ingénieur, a produit plusieurs ouvrages très intéressants, dont « l’âge des low tech ». Vincent Perriot a, de son côté, notamment réalisé les deux albums de Negalyod, un récit de SF dystopique, impressionnant, où des héros à dos de dinosaures se révoltent contre accaparement des ressources, dans une planète où toute l’eau est captée. Avec Ressources, un défi pour l’humanité, ils signent un contenu scientifique précis et fouillé, déroulé magistralement sur 175 pages, et rendu captivant par une approche originale, s’inspirant de la science-fiction. Le rendu graphique est également formidable. Maëlys Cantreau sublime les traits aboutis du dessinateur par une mise en couleur très habile, avec l’aide de Mélissa Bickel. Un glossaire illustré et quelques précieuses infographies thématiques enrichissent l’album. Alors, parés au décollage ?

Les cornucopiens (qui tirent leur nom de la corne d’abondance) ont la conviction que nous vivrons toujours dans la profusion matérielle, grâce au progrès technique. Ceux qui rêvent de conquête spatiale et d’une démographie en expansion en font partie. Que ce soit le fondateur d’Amazon et milliardaire Jeff Bezos, décrivant un futur composé de stations spatiales, ou Elon Musk, imaginant coloniser Mars avec ses fusées, les entrepreneurs qui nous dominent nous vendent un rêve technologique impossible. Car si le stock de ressources est énorme, il est en grande partie inaccessible. Et la course éternelle à plus d’énergie, pour pouvoir extraire plus de ressources, est un cercle vicieux. A chaque progrès permettant d’extraire plus sobrement correspond un effet rebond : toujours plus de machines, de commerce mondial, de déplacements, de données numériques.. De plus, nous épuisons aussi les éléments renouvelables (par la surpêche, la déforestation…). Bref, la croissance infinie n’est pas soutenable, et nous fonçons dans le mur. Alors, a-t-on vraiment besoin de connecter notre montre, notre four et notre frigo ? De prendre des vidéos de chat avec un drone ? De véhicules de 2 tonnes pour nous déplacer ? Et surtout, qu’est-ce qui a plus de valeur : nos biens matériels ou le monde vivant ?

Tout au long de l’album, le dessinateur, s’amuse beaucoup, à nous transporter en fusée ou en voiture volante : ça en jette, et ça questionne en même temps. C’est la même question que l’on retrouve en quatrième de couverture : peut-on vraiment croire à cette vision de l’avenir ? Il nous emporte aussi à dos de baleine à travers des milieux arides, dénaturés, ou à dos d’insecte pour décortiquer les 45 métaux qui composent un smartphone. Le contraste entre nature et technologie est saisissant. Dans un jeu de bleus profonds et d’orangés digne des classiques de la BD-SF, une déferlante de solutions techniques vient se fracasser à la réalité : vaisseaux spatiaux gigantesques, stations orbitales, jets privés… Les personnages construisent un dialogue riche, nous emmenant sur le terrain pour mieux comprendre leur réflexion. Vincent a un air de Spirou avec ses cheveux orange, comme lui il mène une enquête sérieuse saupoudrée d’une pointe d’humour. Et il aura bien sûr aussi réussi à glisser quelques théropodes dans des doubles pages hallucinantes. De son fin trait noir, il décline toute une gamme de décors très détaillés : un régal pour les yeux. Le jeu des échelles est vertigineux, il donne à voir les volumes astronomiques de matériaux passés par la main de l’Homme.

Ressources est, pour conclure, à la fois un très bel objet, une rencontre et un ouvrage de vulgarisation scientifique réussis. De quoi souhaiter, comme les auteurs, que l’humanité arrive à changer de trajectoire, pour « faire atterrir en douceur ce vaisseau fou qu’est devenu notre civilisation technologique ». Alors, parés à l’atterrissage ?

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.


© Casterman, 2025.

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