La couverture nous dévoile un protagoniste solitaire levant les yeux au ciel, en quête de réponses. Le regard est celui de quelqu’un de consciencieux, qui préfère la justice et la vérité à l’obéissance aux ordres. Et enquêter chez les forains sur un meurtre, c’est courir des risques… N’y a-t-il pas un squelette et une tête de bison mort à l’arrière-plan du stand de tir ? Et quel est cet objet – encore une tête d’auroch mort, que notre enquêteur tient dans la main ? Avec « Amotken », une enquête du Lieutenant Bertillon, Carine Barth et Cyrille Pomès signent un polar original, aux éditions Dupuis. Le dessin, totalement maîtrisé, est expressif et vivant. Les couleurs, soigneusement choisies par Drac, donnent le ton : l’ambiance est celle d’un ciel jauni, d’une terre battue, où les silhouettes se font ocre et où le métal structure le paysage de ses lignes et ses cassures. Le scénario, abouti, se lit d’une traite, et nous emmène dans le monde des forains et celui des légendes de clans ancestraux. Une bande-dessinée qui vaut le détour !
Les forains, c’est une grande famille, avec ses secrets. Forcément, quand une enquête démarre, ils font bloc. Et les supérieurs veulent vite classer l’affaire. Mais Bertillon décide de ne pas lâcher. Dylan est mort incinéré, laissant dans la carcasse de sa caravane calcinée une sorte d’amulette, une tête de bison rouge. Un jerrican traîne à proximité. Et la chèvre Olga semble partager sa conviction : il y a quelque chose de louche dans cette affaire. Derek, qui gère le stand de tir, tournait depuis un moment autour de Wanda, fiancée de Dylan. Et Nicole, qui s’occupe du manège, avait eu une altercation avec le défunt la veille de sa mort… Avant de s’endormir à même le sol de la caravane. « Berty », comme l’appelle familièrement le père de Dylan, aura affaire à des personnages excentriques, comme la mamie pratiquant le vaudou au fond du train fantôme. Nicole a aussi un fort caractère – et les muscles qui vont avec. Mais ce n’est rien à côté de l’archer qui rôde et le blesse… Heureusement, il y a aussi des pistes à suivre, des traces de pas, un collectionneur de photos… Et puis ce nom étrange, « Amotken », qui fait paniquer quand il est prononcé sous le coup de la surprise. Il faut dire que certaines tribus sont devenues nomades suite à une puissante malédiction, qui les condamnait à errer, sous l’œil de leur gardien, désigné à chaque génération… Vous l’aurez compris, entre traditions et mysticisme, l’enquête est dense et haletante !
Les traits sont volontairement un peu déglingués. Couleurs et ombres viennent allonger les visages, apporter de l’angoisse voire de l’effroi. La couleur de bison rouge voyage à travers l’album, comme un signal de danger permanent. Les corbeaux noirs, eux, tournoient dans le ciel. Un soin est également apporté aux décors : les tiges de métal des nombreuses infrastructures donnent une verticalité et des cassures supplémentaires à des cases déjà bien rythmées. Dans l’antre du train fantôme, très mystérieuse, des squelettes et masques de sorcière apparaissent à la lueur de bougies. Chaque page recèle des détails intrigants ou judicieux, ainsi que quelques clins d’œil, comme la liste des noms des forains sur les boites du chamboule-tout : « faut que ça dégomme », hurle Derek. Alors, la communauté est-elle si soudée ? Ou ploie-t-elle sous le poids des traditions ? Si Bertillon sait tirer les ficelles sur le terrain, il se retrouve aussi souvent malgré lui dans des scènes d’action réalistes, où l’agressivité monte. Arrivera-t-il au bout de sa quête ?
Lorsqu’un récit policier est réussi, il y a toujours une certaine impatience à lire la suite. Soyez rassurés : le tome deux est paru en janvier ! En vous souhaitant une très bonne lecture…
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.
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© Dupuis, 2024
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