Plus loin q’ailleurs

À chaque fois que paraît une BD de Chabouté, il me prend une envie soudaine de relire toute son œuvre. Plus loin qu’ailleurs, parue aux éditions Vents d’ouest chez Glénat, n’a pas dérogé à ce besoin.

Passionnée depuis mon plus jeune âge par l’occultisme et les sorcières, il est tout naturel que, lorsque en 1998 Sorcières paraît, ma curiosité s’éveille. Le sujet qui me caractérise depuis mon enfance, la composante en noir et blanc et son trait acéré, il n’en faut pas plus pour que je sois irrémédiablement ensorcelée.

Il a parfois revisité des textes littéraires : Construire un feu de Jack London, Moby Dick que lui a inspiré Herman Melville et, plus récemment Yellow cab du réalisateur Benoît Cohen. Il a abordé également des récits d’ordre historique : Terre-Neuvas et Henri Désiré Landru.

Lorsque Chabouté est seul aux commandes, il construit des fables humaines et allégoriques, où l’on observe des individus introvertis, marginaux, aux parcours sinueux. Dans son nouvel opus, nous découvrons Alexandre, qui est emprisonné dans un train-train quotidien depuis des années. Il habite seul et travaille de nuit dans un parking. Ses voisins, il ne les connaît pas et il n’a pas d’amis. Il a le nez plongé dans des bouquins et il griffonne dans de petits carnets. Le vigile qui n’est jamais parti en vacances a préparé avec soin deux semaines de trek en Alaska, ce qui fait bien rire son collègue qui lui lance à la volée : « Tu es un rêveur, pas un trappeur. »

Tout est bien organisé, mais on n’est jamais à l’abri d’une catastrophe. A son arrivée à l’aéroport, une hôtesse lui apprend que l’opérateur qui s’est chargé de son voyage a fait faillite. Aucun vol affrété par l’agence ne peut quitter le sol. Déboussolé, il n’a pas d’autre choix que de rentrer chez lui. Un malheur en amène un autre, le voilà qui se prend les pieds dans ses lacets et se vautre au bas de l’escalator. Un passage obligé aux urgences et retour à la casa. Juste avant que le taxi ne le dépose à destination, le malheureux le prie de s’arrêter pour descendre. Alexandre traverse la rue et loue une chambre dans l’hôtel qui jouxte sa demeure. S’il ne peut pas se rendre au nord-est du Canada, il ne désire pas non plus rester coincé entre les quatre murs de son logement. Son accident l’oblige à rester tranquille six semaines, autant en profiter. Le continent américain ne veut pas venir à lui, il va donc se créer de toute pièce ce raid tant rêvé. Il va prendre connaissance de son quartier et des riverains…

Dans cet album, l’auteur a agrémenté certaines planches de couleurs, ce qui lui procure une note de douceur. Depuis un certain temps sont apparus sur le marché des ouvrages édifiés de cette manière. En 2024, Verts de Patrick Lacan et Marion Besançon aux éditions Rue de Sèvres et Vertigéo chez Casterman, toutes deux combinant le noir et blanc et, sur la fin, de belles pages en couleurs. Plus récemment, on a pu apercevoir le dernier BézianMatz Les papillons ne meurent pas de vieillesse, dont l’artiste a habillé les lépidoptères d’éclatants pigments.

Il se déploie une forme de mélancolie dans les histoires de Chabouté. Les personnages sont rugueux et ne dégagent pas la joie de vivre. N’allez pas croire que ses bandes dessinées sont tristes, elles racontent simplement le destin d’humains en marge de la société. Qui sommes-nous pour les juger ? Sous ce trait affûté, ils prennent vie et nous offrent sans retenue leur intimité et leur faiblesse. Si les fêlures sont profondes, elles poussent ces écorchés à avancer la tête haute et à aller de l’avant… Vraiment ?

Chronique de Nathalie Bétrix


© Vents d’Ouest, 2025.

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