Quand il est question d’histoire des arts, j’ai rapidement la curiosité au garde à vous ; alors quand on m’a accrochée avec, en couverture, « La folle histoire du tableau le plus cher du monde » associé à une représentation du Salvator Mundi, forcément il fallait que je sache ! Direction la Renaissance italienne, le Christ Rédempteur, les gestes du maître de Vinci et de ses élèves, l’odeur caractéristique de la peinture à l’huile et les rues tortueuses de Florence !
Et ce n’est absolument pas ce que j’ai rencontré… parce que cet album, édité chez Futuropolis, n’évoque ni l’inspiration qui a présidé à la réalisation de cette toile sublime, ni n’entre dans les rouages pratiques de sa conception effective mais présente le cheminement rocambolesque moderne, sur deux décennies, de sa prise de valeur plus que spectaculaire.
Déjà aux manettes de la réalisation d’un documentaire télévisé sur le sujet, Antoine Vitkine s’est associé à Sébastien Borgeaud, journaliste spécialisé dans les paradis fiscaux, pour donner corps à cette bande dessinée en forme d’enquête : comment un tableau payé 1175 dollars en 2005 dans les reliquats d’une succession banale à Bâton Rouge a-t-il pu être vendu chez Christie’s 450 millions de dollars douze ans plus tard ?
Digne d’un film d’action, l’intrigue, relatant pourtant des faits réels, voit se croiser un marchand d’art new-yorkais, une restauratrice d’œuvres, des experts, des diplomates, un oligarque russe et son cercle, des hommes d’affaires à l’éthique plus ou moins discutable, un prince saoudien et même un Président de la République française… Elle est le récit d’un emballement sans précédents où les querelles d’experts sur la paternité supposée de l’œuvre ne sont toujours pas résolues (le Salvator Mundi est-il de de Vinci, en totalité ou en partie, de l’un de ses élèves ?) et se sont imbriquées dans des échanges géopolitiques complexes.
Eric Liberge, offre un dessin réaliste, précis et ultra détaillé. Les cases sont riches d’informations ; les décors ultra-soignés, des façades du Louvres au yacht luxueux d’un émir en passant par les gratte-ciels de la Grosse Pomme et même l’intérieur de la Statue de la Liberté. Le choix des couleurs, plutôt neutres, fonctionne très bien ; les planches s’organisent en usant des différentes valeurs de la dominante choisie, laissant les ombres et les clartés donner vie à chaque scène. Les personnages sont rendus à la perfection jusque dans les plis de leurs vêtements ! Un travail d’orfèvre.
J’ai passé un moment de lecture aussi inattendu qu’intéressant avec cette filature pointue et documentée sur les dérives du marché de l’art, drôles de coulisses peu fréquentables où s’entremêlent les liens étroits entre milieux économiques, milieux politiques et caste des ultra-riches…
Le mot de la fin à l’auteur : «Jamais la réflexion sur une peinture n’a été à ce point polluée par son prix, les médias, les intérêts et l’ego des puissants».
Chronique de Louna Angèle.

© Futuropolis, 2025.