Le choeur des sardinières

Chaque année, le 1er mai nous rappelle les luttes ouvrières qui ont façonné, petit à petit, le droit du travail. Un groupe de femmes, courageuses, a participé à ces mouvements fondateurs : les Penn-Sardin, sardinières de Bretagne. En 1924, à Douarnenez, elles travaillent aussi dur que les hommes, dès l’enfance, et sont les moins payées de France. C’est bien simple, la population rogne sur tout et n’est pas loin de crever de faim. Léah Touitou maitrise l’art du scénario ; d’ailleurs, elle l’enseigne à Lyon. Dans la bande dessinée le choeur des sardinières, paru chez Steinkis elle ne fait pas que nous raconter l’histoire d’un mouvement social. Avec le dessinateur Max Lewko ils ont en effet réalisé un véritable travail journalistique, allant glaner les histoires de famille et les souvenirs, les textes, les archives, les images. Les témoignages des habitants, associations, professionnels du Port-Musée de Douarnenez ont permis la construction d’un récit vivant et passionnant, superbement mis en couleur à l’aquarelle. C’est un album historique qui se lit comme un bon policier, avec un lexique breton et une chronologie en bonus. Questionnant aussi la place de la femme et des enfants dans la société des années 1920, il est vivement conseillé !

Mona, ouvrière dans une des usines de sardines de Douranenez, a déjà 2 enfants, et les mains usées. Sa fille, 10 ans, aimerait continuer l’école, puis aller à Paris. Mais un petit troisième est en route, et c’est le père qui décide : la fillette doit aller à l’usine. Comme le souligne la narratrice, elle y connaît le même désespoir que ses camarades, les mêmes chants pour tenir, la même fatigue, chaque soir. La contremaîtresse prive de jetons celles qui font trop de déchets. La paie ne suffit pourtant déjà pas pour acheter le pain. Certaines se blessent à la tâche, perdent un bout de doigt. Alors quand un patron interdit le chant, un vent de révolte monte. Et comme une traînée de poudre, les nouvelles se répandent : on débraie chez Carnaud ! Et chez Ramp ! Alors ceux de la métallurgie, qui fabriquent les conserves, suivent. Et la grève se répand, et gagne toute la ville. Le maire la soutient. Ils sont 300, puis 3 000 à marcher. Vertigineux ! Le journal parle du mouvement, le syndicat arrive en renfort, en la personne de Lucie Colliard. Pour beaucoup d’ouvrières, c’est la première fois qu’elles voient autant de monde écouter une femme. La solidarité s’organise, bals de soutien, soupe populaire. Le ministre du travail arrivera-t-il a faire céder les patrons ? Gare aux milices…

Les planches baignent dans une très belle lumière. Celle de la Bretagne, celle de l’espoir. L’aquarelle trouve ainsi sa juste place, dans des tons pastels harmonieux, mais où le noir n’est pas oublié, et où le blanc habille le ciel, la peau, et les femmes – tabliers et coiffes bretonnes. Les décors d’usine, les paysages littoraux, les chevaux, bateaux, train à vapeur et sabots nous plongent à merveille dans l’atmosphère de l’époque. Les traits du dessin sont dynamiques, ils mettent en avant le pouvoir de la foule comme la désolation des têtes baissées… Et puis les poings se lèvent, la fierté prend le dessus et donne une nouvelle flamme aux regards. Les chants rythment les manifestations, et le breton ponctue les dialogues de ses mots courts. Jusqu’au dénouement !

Alors qu’un siècle nous sépare de ces évènements, chaque média est précieux pour continuer à transmettre l’histoire des Penn-Sardin, leur conditions de travail à l’époque et leur détermination. De quoi battre en brèche les idées reçues du type « c’était mieux avant » ! Et rappeler combien les mouvements sociaux sont parfois légitimes, pour préserver les droits humains et acquis sociaux.

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.


© Steinkis Éditions, 2025.

Laisser un commentaire