Certifié humain

En 2014 sort la bande dessinée Curry, kiwis et caïpirinha aux éditions Hélice Hélas. Dora Formica, que j’ai rencontrée à la librairie où je travaille, m’a longuement raconté l’histoire de ce projet. En 2011, avec son compagnon Matthias, elle imagine ce récit qui navigue entre la BD et le carnet de voyage. Près de dix ans après, ils repartent avec leurs deux filles. Lors d’une escale en Slovénie, ils font partie d’un groupe de bénévoles qui aident un fermier à écosser des haricots. Dora y rencontre un graphiste. En apprenant qu’elle est artiste, il lui demande son ressenti vis à vis de l’émergence de l’intelligence artificielle générative. Perplexe, c’est la première fois qu’elle en entend parler. Il lui faudra une année supplémentaire avant de prendre pleinement conscience du danger que cette nouvelle forme « artistique » représente pour ses confrères et consœurs. Certifié humain, édité par Helvetiq, est son introspection dans l’univers de l’IA.

Elle s’est prise de plein fouet l’évolution fulgurante de ce procédé. Dora a éprouvé le besoin, pour se rassurer, de recueillir l’opinion d’autres professionnels. L’illustratrice rentre en contact avec ses pairs et organise une rencontre dans leurs ateliers. Son premier tête-à-tête, elle le réalise dans sa ville Lausanne, aux côtés d’Anne Wilsdorf, qui a composé de très jolis albums jeunesse. Son pèlerinage l’amène en suite à Genève chez Tom Tirabosco. Elle y croise également Martin Panchaud. Le train suivant l’emporte à Lyon où l’attend Guillaume Long. Dora ne s’arrête jamais, la voilà qui déboule à Bruxelles, où vivent Léonie Bischoff et Fanny Dreyer. De là, elle rejoint Amsterdam et Lauraine Meyer. Quelques jours plus tard, elle file à Berlin et y retrouve Rylsee, spécialiste de la police et typographie dessinées à la main, ainsi que Bianca Schaalburg. Son excursion l’emmène enfin à Munich auprès de Barbara Yelin. Après un retour en Suisse pour un repos bien mérité, Dora termine son périple dans le quartier des Croix-Rousse à Lyon.

Chaque créateur lui livre son point de vue à l’égard de cette technique émergente. Si une forte proportion ne voit pas d’un bon œil ce procédé, j’ai été surprise d’observer que la majorité se sentent à l’abri et pensent ne pas être « dupliqués ». D’une part en raison de leur technique créative, Tom Tirabosco fait ses planches en monotype, mais aussi parce que ces dessinateurs présument que leur style graphique est en marge de ce qui est copié. Martin Panchaud quant à lui, est plus ouvert. Il trouve que le procédé peut être bénéfique. Par exemple lors de recherches barbantes, cela lui laissera plus de temps pour se concentrer sur ce qu’il aime. Lauraine Meyer lui dévoile avoir effectué avec des élèves un travail dont la consigne était d’utiliser l’intelligence artificielle. Ils ont pu constater les failles évidentes de l’ordinateur, ainsi que la consommation énergétique débordante de cette technologie. L’un d’eux a rappelé que tout ce qui est nouveau fait indéniablement peur et dérange. Je comprends, mais ici on parle quand même de remplacer progressivement les métiers d’illustrateurs, de scénaristes, d’écrivains, de peintres, etc. par des machines…

Certifié humain est réalisé par une humaine qui a appliqué ses crayons et ses pinceaux sur le papier afin d’élaborer des planches en couleurs et en noir et blanc. Elle a représenté avec précision toutes les tanières où se meuvent ces ambassadeurs du rêve et de la beauté. Ce récit m’a conforté dans l’avis que je me fais de ce procédé novateur. Je suis clairement de la vieille école et, même si j’ai croisé dans cette BD des hommes et des femmes qui souhaitent rester positifs, j’ai peine à penser que notre société fera tout ce qu’il faut pour ne pas effacer progressivement ce qui est authentique et original.

Allez, j’arrête de faire ma chieuse, croyons en un bel avenir et ne baissons jamais les bras.

Chronique de Nathalie Bétrix


© Helvetiq, 2025

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