Les deux auteurs britanniques, Andi Watson (scénario) et Simon Gane (dessinateur) nous livrent une véritable ode au Paris des années 50. Cet ouvrage, paru aux éditions Locus Solus, est un petit bijou au format comics (il a été d’abord édité aux USA par Image Comics en 2007, puis réédité en 2022), aux finitions soignées.
Le canevas de cette histoire d’amour est classique : Juliet, américaine, est à Paris, en 1950, pour étudier l’art. Pour financer ses études, elle réalise des portraits des jeunes filles de bonne famille. Lors d’une de ces séances, elle fait la rencontre de Déborah, issue de la bourgeoisie anglaise. Elle est accompagnée de sa vieille tantine acariâtre et frustrée. Cette dernière contrôle les moindres faits et gestes de sa nièce. La jeune Anglaise est également chaperonnée par son frère, jeune dandy et beau parleur.
Juliet et Déborah se rapprochent, se tournent autour. Elles visitent le Musée du Louvre, découvrent les caveaux de Saint-Germain-des-Prés, Montmartre, etc. L’étudiante américaine est invitée à un bal organisé par la famille britannique. Mais rien ne se passe comme prévu, un événement bouleversant aura un impact sur leur relation. Elles se perdront de vue, mais….
L’intérêt de cette histoire réside dans la narration, la découverte de Paris en 1950 et le sublime dessin de Simon Gane. L’histoire se découpe en quatre chapitres, précédés d’une introduction totalement incroyable : le créateur, Andi Watson, reprend les codes cinématographiques, pour nous présenter à la fois les personnages principaux, dont Paris et les auteurs. Il ne manque plus que les bruits, mais le lecteur est d’emblée embarqué dans une histoire que l’on devine gaie, au rythme enjoué, à l’instar du jazz joué dans les bars de la capitale. Ensuite, l’auteur, maîtrisant d’une main de maître l’art de la narration, nous entraîne tambour battant dans des univers différents qui se côtoient dans le Paris d’après-guerre : la vie de bohème des artistes, des étudiants, logés à plusieurs dans des immeubles bringuebalants, les grands hôtels bourgeois, les concerts dans les sous-sols de Saint-Germain-des-Prés, le Louvre, les rues, les quartiers foisonnants de vie. Le scénariste en profite pour dénoncer les codes écrasants et rigides des familles bourgeoises.
Cependant, l’atout majeur pour moi est le dessin, en noir et blanc, avec des nuances de gris, de Simon Gane. Ce dernier semble pouvoir tout croquer, avec moult détails. Les rues de Panam, les intérieurs et le Musée du Louvre sont splendides, représentés parfois sur des pleines pages, nous scotchant littéralement devant et nous empêchant de poursuivre la lecture (deux lectures s’avéreront nécessaires, une pour l’histoire et une seconde pour contempler les illustrations).
Son coup de crayon est parfois caricatural, lorsqu’il représente les expressions des personnages, leurs mains ou les jambes. Ses traits sont rarement droits, il prend des libertés avec les proportions et la profondeur, ce qui n’empêche pas un rendu très esthétique. Mais lorsqu’il s’attarde sur le visage d’une grande beauté des deux héroïnes, le crayon de l’artiste se fait délicat, léger et élégant pour jouer avec les cheveux, les yeux et les expressions. La visite du Louvre est le prétexte à montrer toute l’étendue du talent du dessinateur : il reproduit magistralement des sculptures comme la Victoire de Samothrace, des tableaux comme la Vicomtesse d’Haussonville d’Ingres, la liberté guidant le peuple de Delacroix et autres œuvres d’art.
Les pages de garde des chapitres sont finement travaillées et tout simplement divines. La couverture avec ses couleurs jaunes et bleues n’est pas en reste. Le cahier « bonus » en fin de volume offre de nombreuses illustrations, dont le seul défaut est de ne pas être imprimées dans leur taille d’origine.
Il faut souligner l’énorme travail de recherche des bédéistes, nous permettant de nous immerger dans la ville et d’admirer, ça et là, les devantures et vitrines des boutiques.
Chronique de Gedeon Groidanmamaison

© Locus Solus Editions, 2025.