John Le Carré a écrit : «Vous êtes un excellent espion. Il ne vous manque plus qu’une cause». Avec Spy Superb, Matt et Sharlene Kindt redistribuent les cartes. Une mission est à accomplir, qui sera apte à la remplir ? Cette parution de Futuropolis n’est autre que la chronique d’un agent trouble.
Le Spy Superb naquit lors de la Seconde Guerre mondiale. Il est le nec plus ultra que le monde ait connu. C’est un parfait athlète, au QI exceptionnel. Un virtuose du camouflage, un génie tactique et polyglotte. Il est une véritable légende pour les bureaux de renseignement.
Le seul souci, c’est que ce demi-dieu de la ruse est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture. Il devait récupérer un téléphone portable où sont stockées des données sensibles.
Son superviseur doit désormais lui trouver un remplaçant, il choisit Jay Bartholomew III.
Jay est un libraire quadragénaire célibataire et écrivain raté qui vit encore chez sa p’tite maman. Un gros beauf narcissique, misogyne et mythomane. En bref, le complice involontaire ou plutôt l’idiot idéal qui ne manquera à personne si l’opération vire au vinaigre.
Les opposants chinois et russes envoient la crème de leurs agents à ses trousses, notre barbouze improvisée a aux fesses Lucky Leong et Roche Chambeaux pour lui griller la politesse.
Chaque génération a son défi à relever et il est incroyable de constater ce que la vie peut réserver comme drôles de surprises à un loser…
Matt Kindt clôt sa trilogie amorcée par 2 Sœurs et Super Spy non pas avec sérieux cette fois-ci mais en y ajoutant la dérision à ses ingrédients de prédilection. Comme le héros principal est en total décalage avec l’action, Spy Superb devient d’emblée une lecture récréative. L’intrigue semble simple en surface. Pourtant, elle recèle de subtilités et conspirations délirantes. Le climax faussement naïf nous immerge dans un univers complètement exubérant. L’auteur amalgame l’existentialisme à l’épique. Le récit déroule sous un rythme soutenu, des flashbacks parsemés ici et là bousculent la chronologie. Les personnages se croisent, s’entremêlent. Kindt évite justement les récitatifs afin de ne pas dévoiler les motivations et pensées de ses protagonistes. Le scénariste balade le lecteur au cœur d’un chassé croisé multipiste en possédant l’art et la manière de le ramener sur les rails avec adresse. Le mot nourrit l’image et inversement, la narration se porte jusqu’à ébullition.
Les époux Kindt ont une approche visuelle personnelle et aisément reconnaissable. Le dessin et l’encrage sont réalisés en numérique similaire au rendu traditionnel. Le dessin est naturel, brut et sans artifice. Le trait simplifié se rapproche du style européen, les arrière-plans sont ajustés avec soin. Le découpage prouve la totale maîtrise de Matt Kindt pour les ressorts séquentiels protéiformes. La mise en scène s’allie au gaufrier à l’aide d’une composition allant de 6 cases conventionnelles par planche à des pleines et doubles pages insolites, elle s’imbrique au montage et retouches digitales façon bichromie ou vieux illustrés. L’utilisation d’aquarelle aux tons neutres par Sharlene Kindt s’intègre admirablement à l’histoire. Sa colorisation classique fait des merveilles, rien ne vaut la véritable peinture sur papier.
Matt Kindt reste de loin LE prestidigitateur du comic-book, un créateur dans l’ère du temps qui ne cesse de réinventer son écriture et d’expérimenter graphiquement à chaque projet. À souligner et saluer le travail éditorial signé Futuropolis, ce livre objet mérite une attention particulière.
Chronique de Vincent Lapalus.

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