Emmanuel Moynot signe, avec La suprématie des underbaboons, un ouvrage pour le moins déroutant par sa nature et son propos. L’auteur nous présente deux récits : un documentaire sur le comportement de certains singes et un polar violent et cynique à souhait, se situant aux USA.
Le reportage reprend une étude des chercheurs Robert Sapolsky et Lisa Share-Sapolsky sur l’observation de plusieurs troupes de babouins au Kenya. Le résultat de leurs travaux est le suivant : lorsque les mâles alpha sont éliminés, l’harmonie et la paix règnent au sein des groupes. Ce récit documentaire forme le prologue et l’épilogue de cette bande dessinée, mais d’autres parties sont insérées dans l’histoire policière. Ces pages démontrent, entre autre, que le patriarcat et l’hétérosexualité ne sont pas la norme dans la nature. La présence de ce reportage n’est évidemment pas gratuite : les conclusions tirées de cette dernière permettent à l’auteur d’analyser les égarements du comportement humain, illustrés dans la partie fictionnelle.
Dans ce récit choral, trois intrigues a priori indépendantes sont développées : Dans la première, le FBI enquête sur les meurtres d’hommes et de femmes de pouvoir. L’autrice des meurtres (il s’agit d’une femme) cherche-t-elle à s’en prendre au patriarcat, au mouvement d’extrême droite américain ? ; Dans la seconde, un suprémaciste fait un carnage dans une université ; Dans la troisième, un protagoniste d’extrême droite, génie de l’informatique, manipule et tue des innocents pour de l’argent. Au passage, il massacre sa famille. Ces trois trames se recoupent pour donner un final explosif et plein de rebondissements !
Ce thriller haletant, sans concession, se situe dans l’Amérique blanche raciste, proche des milieux catholiques extrémistes et dans laquelle le patriarcat est le modèle dominant. Le terme underbadoons, inventé par l’auteur, vient de l’expression underdog, individu de « second rang ». La violence est omniprésente. Les personnages sont peu sympathiques, le lecteur ne s’y attache guère. Cependant, l’auteur a judicieusement développé leur psychologie. Le talent de conteur d’Emmanuel Moynot pour nous embarquer dans son histoire est indiscutable.
Le graphisme, glacial, participe à l’élaboration d’une atmosphère très particulière. L’artiste va à l’essentiel, le trait est maîtrisé, mais ne cherche pas à sublimer ni à esthétiser le monde dans lequel évoluent ses acteurs.
La bichromie, couleur bistre pour la partie documentaire et bleue pour le polar, avec parfois des ajouts de rouge et de rose contribue grandement à l’ambiance délétère.
Cet ouvrage, passionnant et singulier, publié dans la collection 1000 Feuilles des Éditions Glénat BD ne laisse pas indifférent et provoque chez les lecteurs de nombreuses réflexions. Ainsi, je me suis posé la question de la maladie mentale. Cette dernière est-elle présente chez les singes ? Les tueurs présents dans ce polar sont clairement dérangés. Mais est-ce le patriarcat qui les a rendus fous ou sont-ils nés déficients ? Faut-il penser, à l’instar de Rousseau, que l’homme est naturellement bon ? L’observation des cours de récréation des écoles maternelles me donne des éléments de réponse…
Je me permets un petit reproche à cette bande dessinée de grande qualité : les résumés concernant les singes sont parfois trop rapides et lacunaires, laissant passer des propos erronés (par exemple la présentation de la hyène…). Mais rien n’empêche le lecteur de faire ses propres recherches pour approfondir le sujet.
Chronique de Gedeon Groidanmamaison.


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