De pierre et d’os

Des esprits ancestraux comme des aurores boréales, aquarellés en pleine page… Des joues sucrées d’enfants barbouillées de jus bleu de baies sauvages… Des paysages aigus de toundra arctique, infinis, en camaïeux de blancs, bleus, gris, liquides, gelés… La chaleur beige rosée, lumineuse et douce, des corps enroulés dans les peaux d’ours… Les sourires francs autour du feu… Quelques traits noirs, minuscules, au milieu d’une case ; une vie, minuscule, dans l’immensité glaciale… La patte de Jean-Paul Krassinsky s’est apposée avec une habileté virtuose pour guider le lecteur jusqu’aux confins des terres polaires. Avec De pierre et d’os, beau volume en couverture cartonnée de plus de deux cents planches, paru chez Éditions Dupuis dans la collection Aire Libre, il signe une adaptation libre magistrale de l’œuvre éponyme de Bérengère Cournut.

Usant d’un trait semi-réaliste très évocateur, le dessinateur déroule le chemin de vie d’Uqsuralik, jeune inuite, séparée de sa famille par les caprices de la banquise. Laissée seule face à la voracité de l’inlandsis et du silence, il est question de sa détermination à vivre et de sa résilience. Les cases de ce récit initiatique s’enchaînent en laissant des émotions vives… C’est autant le quotidien, parfois brutal, fait de quête de nourriture, de résistance au froid et aux prédateurs, que les coutumes et croyances des populations autochtones qui sont évoquées. La spiritualité et toutes ses manifestations y ont une place essentielle. La tradition de communiquer par le chant est reprise ; plusieurs textes scandés ponctuent le récit pour donner des informations complémentaires sur les personnages récurrents. Cette immersion auditive laisse une ambiance faite de sonorités propres aux dialectes inuits (pour les curieux, ne pas hésiter à aller écouter des chants de gorge traditionnels…). Au travers des épreuves, des joies et des deuils d’Uqsuralik, la palette des sentiments humains est balayée.

La mise en page alterne les planches au découpage classique, en cases rectangulaires, et les pleines pages où le regard se perd ; les pages de chapitrage sont l’occasion de magnifiques aquarelles. La petitesse des intérieurs confinés et une nécessaire promiscuité se mêlent à l’immensité des paysages.

Récit d’aventure et surtout destin de femme, cette bande dessinée, très documentée, a bénéficié du regard avisé de Joëlle Robert-Lamblin anthropologue, ainsi que des recherches personnelles du dessinateur, notamment dans les notes de Paul-Emille Victor archivées au Muséum national d’Histoire naturelle.

Une lecture intense, sensorielle, qui laisse une sensation de rudesse et de puissance, assurément marquante…

Chronique de Louna Angèle


© Aire Libre, 2025.

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