L’ouvrage revient sur la gouvernance de Ronald Reagan, ancien acteur et président des USA pendant deux mandats, de 1980 à 1988. Il succède sans difficulté à Jimmy Carter. Son programme ultralibéral plaît à une certaine frange de la population américaine : baisse des impôts des entreprises et intervention limitée de l’état, politique dure à l’égard des classes pauvres et moyennes, à l’instar de ce que réalise Margaret Thatcher au Royaume-Uni.

Il est aussi un bon communicant, un séducteur dont le style tranche avec celui de ses prédécesseurs.

Les auteurs s’attardent plus précisément sur la personnalité de l’ancien acteur : peu cultivé, ignorant des dossiers dont il a la charge, il fait preuve d’une bêtise et d’une ignorance qui laissent pantois. Le scénariste a opéré un gros travail de documentation, reprenant les propos du politicien lors de séances de travail privées, de réunions publiques, de sommets internationaux. C’est tout simplement hallucinant ! Il est difficile de croire à la réalité des commentaires, tant ces derniers nous semblent grotesques pour un homme occupant sa fonction.

Il fait la grasse matinée, fait sa sieste tous les jours et visionne avec sa femme les films dans lesquels il a joué. Son investissement est totalement absent. Il est entouré de conseillers qu’ il laisse travailler et décider à sa place sur les dossiers qu’il ne maîtrise pas et qui ne l’intéressent pas. L’unique objet de ses préoccupations est le programme de Star Wars, qui relance la Guerre froide. Ses talents d’orateur et son humour douteux, bourré de clichés (il apprend ses blagues par cœur) , le rendent toutefois « sympathique » aux yeux de beaucoup d’Américains.

Le titre semble laisser peu de doute sur la personnalité de Ronald Reagan, mais présente justement ce paradoxe : comment un crétin a-t ‘il pu gagner la guerre froide ? Le président est-il vraiment un imbécile fini ? Ou se feint-il d’être stupide pour arriver à ses fins ? Les bédéistes se gardent bien de donner un avis définitif, laissant au lecteur le soin de se forger leur propre opinion. Ainsi, les artistes reviennent sur les échanges et relations entre Reagan et Gorbatchev : le président américain faisait-il du chantage, des caprices, avait-il un plan ? Aucune réponse. Néanmoins, aidé du contexte très dégradé économiquement du côté russe, du courage de M. Gorbatchev et peut-être d’une stratégie, le crétin en question semble avoir sa part de responsabilité dans la fin de la guerre froide.

Le livre dessiné édité par Grand Angle se dévore d’une traite grâce à un scénario astucieux et une narration maîtrisée. Jean-Yves le Naour réussit le tour de force de rendre passionnant un sujet et surtout un personnage peu attrayant au premier abord. Le travail de recherche est impressionnant, minutieux, éclairant. Il peut se lire comme un formidable documentaire historique. Nous y croisons d’autres figures politiques comme François Mitterrand, Margaret Thatcher. Donald Trump y fait une apparition lors d’une réunion d’investisseurs (il aura depuis eu retour sur ses investissements…).

Le dessin est signé Cédrick Le Bihan. Il est classique, réaliste, voire semi-réaliste parfois pour représenter le côté clownesque de Reagan, efficace tout en restant sobre. Les hommes politiques et autres personnages publics sont reconnaissables au premier coup d’œil, idem pour les bâtiments et les monuments historiques. Les couleurs, finement travaillées, jouent un rôle primordial dans la mise en place d’une atmosphère tendue et inquiétante. Autre détail important, la colorisation qui reprend celle des comics des années 70 et 80 avec les fameux pointillés, renforçant ainsi le côté documentaire et immersif.

Cet album enrichissant et sérieux plaira autant aux curieux qu’aux passionnés d’Histoire. Les auteurs font évidemment un parallèle avec le président actuel. Malgré des ressemblances indéniables (inculture des deux personnages, libéralisme économique, etc.), nous ne pouvons nous empêcher de penser que Ronald Reagan était relativement inoffensif…

Chronique de Gedeon Groidanmamaison et Cassandre.

© Grand Angle, 2025.