Ce que je sais de Rokia

Le Prix Artémisia récompense spécifiquement le travail des autrices de bande dessinée. Il est donc tout naturel de vous en parler pour la journée des droits des femmes, encore plus quand il s’agit du prix « société » 2025 ! La bande dessinée Ce que je sais de Rokia, déjà deux fois primée, nous parle d’une histoire entre femmes, et nous touche au cœur. Rokia est une jeune migrante du Libéria. Marion est une mère de famille, qui décide de l’accueillir sous son toit. Elle souhaite lui donner un ancrage, et l’aider à se reconstruire après une fuite qu’elle imagine très douloureuse. Sur la base de son propre vécu, Quitterie Simon pose un scénario élaboré, évitant les stéréotypes. Elle aborde le rôle de l’aidant autant, sinon plus que la situation de la clandestine. Peut-on avoir confiance en une personne inconnue, qui n’a pas la même culture ? Comment aider avec la barrière de la langue et sans réveiller les traumatismes ? C’est une très belle histoire de lâcher prise et de compassion, sous les traits doux et sublimes de la dessinatrice Fancesca Vartuli, que nous propose Futuropolis. Le prix Tournesol 2025 est d’ailleurs venu saluer un album qui porte haut les valeurs humanistes. Entre un remarquable travail à l’aquarelle, qui donne corps aux choses et aux gens par de subtiles ombres, et un récit très vivant et attachant, j’adhère à 100 % !

Après avoir pris contact avec une association d’aide aux sans-papiers, Marion saute le pas. Elle accueille Rokia, 19 ans, anglophone. Ayant quitté le Libéria à 14 ans, elle a mis 5 ans à atteindre l’Europe. Chacun fait connaissance, un peu sur sa réserve. La cuisine est l’occasion d’un partage pour passer la barrière de la langue. D’ailleurs, Rokia rêve de devenir chocolatière. Elle connaît une lente reconstruction, arrive à reprendre confiance alors que l’incertitude est quotidienne. Elle finit par se confier. Comment ne pas s’attacher et être bouleversé ? Rokia est comme notre enfant, comme notre adolescente. Elle rêve d’oublier pour toujours tous les hommes qui lui sont passés dessus, quand un passeur l’a enfermé 2 ans et demi en Lybie… Voici le récit affreux qu’elle finit par confier à son hôtesse, lors d’un séjour dans les Alpes. Face à cet abîme, le lien se tisse en silence. Sororité. Il y a aussi des moments festifs, dans l’intimité du cercle familial. Et puis subitement, Rokia se voile. Est-ce une radicalisation ? Un ami réfugié aide Marion à prendre du recul. La religion peut être une manière de reconstruire son identité. La procédure administrative est longue, étouffante. Mais Rokia fait preuve d’une belle résilience… Et si… Et s’il y avait aussi une part de mensonge ? Va-t-elle aux cours de français, a-t-elle un profil sur les réseaux sociaux ? Pas le temps de creuser la question quand Rokia est arrêtée, va quitter le territoire pour l’Italie et que tout s’accélère. Marion se détache de ses doutes, son cœur de mère prend le dessus et elle fera tout pour aider Rokia dans son combat, jusqu’au bout.

La scénariste a indiqué avoir eu un coup de foudre pour les dessins de Francesca Vartuli. Il faut dire qu’ils sont superbes, vivants, colorés. Les corps sont sculptés par de délicats ombrages, tout en nuances. Les visages sont réalistes et tintés de tendresse. La lumière y danse, comme à travers un vitrail. Et petit à petit, la confiance s’installe, les muscles se détendent. Alors que l’angoisse de l’attente se fait parfois trop présente, la montagne enneigée est un magnifique lieu de respiration partagée. Entre les nombreux appels téléphoniques, les absences, les incompréhensions, les non-dits, chaque case effleure les dynamiques nécessaires pour quitter une famille, un pays – comme le dit si bien le sage ami de Marion. Et à la fin, peu importe ce qui est caché, les larmes disent la vérité et l’amour.

Un très bel album, qui vient questionner le sens réel de la solidarité : peut-elle être inconditionnelle ? Indispensable.

Chronique de Mélanie Huguet-Friedel

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