AUCUNE TOMBE ASSEZ PROFONDE

Skottie Young, Jorge Corona et Jean-François Beaulieu mettent le pied à l’étrier pour une troisième production tonitruante. Après Middlewest et Celui que tu aimes dans les ténèbres, vient Aucune tombe assez profonde aux éditions Urban Comics. Ce titre assez évocateur narre les tribulations d’une farouche et cruelle «bandidas». Arrivera-t-elle à négocier un sursis avec la Grande Faucheuse pour profiter d’une vie rangée du péché ? Allez, en selle Gisèle !

La tristement célèbre Revolver Ridge Ryder n’a jamais été une femme très respectable, elle était une hors-la-loi sanguinaire. Triple R est entrée dans la légende pour ses attaques audacieuses de trains, diligences et braquages de banques. Ryder est une femme libre et indépendante, un vrai pur-sang indomptable.

Désormais, la lady s’est «rangée des voitures» pour mener une existence plus sage et honnête. Elle a fondé une famille avec Darius, un homme doux et attentionné. Leur idylle donna naissance à une jolie petite fille prénommée Joey. Ils possèdent un corps de ferme que le couple espère garder malgré la baisse des récoltes et quelques retards de paiements auprès de leur créancier.

Cependant, Ryder tombe malade et le diagnostic du médecin est sans appel. Elle est rongée par la tuberculose. Pourquoi la fatalité a-t-elle décidé de venir frapper à sa porte en plein bonheur ? Pourquoi maintenant ?

Mais les mauvaises habitudes se manifestent à nouveau. Les bitures au whisky, l’amour platonique du revolver et la cruauté reviennent au galop. Du fond d’une bouteille, Ryder échafaude un plan insensé pour suivre des chemins inconnus jusqu’à la ville de Cypress.

Nulle question d’agonie, le but est de liquider purement et simplement la fossoyeuse d’âmes afin de gagner une rallonge terrestre. Le plomb, Ryder ne le récolte pas, elle le sème. La mort impose son veto. La cow-girl est «wanted» aussi bien dans le monde des vivants que dans celui des défunts. Elle évoluera en milieu hostile côtoyant la fange démoniaque.

Ce CV de débauche ne pèse pas lourd sur la balance, le tribut à payer reste élevé. Il n’est pas sûr que cette quête permette à Ryder d’obtenir l’absolution, les rêves de gloire disparaissent souvent au soleil couchant.

Skottie Young scribe ne fait aucune concession avec sa dernière création, exit le côté choupi d’Oz et le trash de Fairyland. L’auteur a traité des thèmes comme la maltraitance enfantine (Middlewest) ainsi que la romance (Celui que tu aimes dans les ténèbres) avec sérieux et de manière mélancolique voire lugubre. Il est en de même avec ce western viscéral au climax fantastique. Young signe un brûlot féroce bourré d’humour noir. L’héroïne badass évolue dans un univers grotesque habité par des fantômes et autres chimères aussi clownesques que cauchemardesques. Une dimension tragique enveloppe cette intrigue crasseuse. L’action, les péripéties et les dialogues tranchent dans le gras. Le scénariste puise ses influences dans LE chef-d’œuvre du cinéma qu’est Impitoyable de Clint Eastwood . Aucune tombe assez profonde se caractérise par des personnages à la ramasse évoluant au cœur d’une fiction primitive où le mal de vivre souffre de ne pas trouver sa place. La lecture de ce «burritos» relié donne une dose massive d’évasion au lecteur qui au pire, le tuera encore plus vite qu’une balle.

Le pistolero Jorge Corona conquiert les hectares graphiques d’Ouest sauvage avec maestria, sa mise en scène est stylisée et carrément déchaînée. L’artiste respecte les codes du genre en y ajoutant divers ingrédients comme les effets de poussière, d’écume et chaleur accablante. Son dessin est juste mortel, les lignes et courbes se tracent avec vélocité et dans la déflagration d’un tir de Winchester. Corona dégaine un séquençage hétérogène, fiévreux en repoussant les frontières de bordures régulières pourtant contraignantes. Il est à l’aise dans tous les domaines (voir sa prestation sur Tranformers), ce récit lui donne l’occasion d’explorer des territoires narratifs inhabituels. L’expressivité est très suggestive, les protagonistes se taillent un charisme illustratif au burin. L’encre de chine s’applique façon poudre à canon, le surlignage au rotring griffe jusqu’à en devenir abrasif. Le tenancier Jean-François Beaulieu embaume l’atmosphère blafarde d’une colorisation rance. Il recourt à une gamme de pigmentations pleines, chaudes et puissantes. Son emploi de tons luxuriants, exubérants ou hallucinés semble tordre la lumière puis provoque des mirages thermiques numériques. Le visuel pue la sueur esthétique sur des kilomètres.

Il faut reconnaître qu’en tant qu’européens, nous sommes les meilleurs en production de bandes dessinées se situant au Far West. Force est de constater que parfois, nos cousins d’outre-Atlantique nous déterrent quelques pépites comme Aucune tombe assez profonde ou The Sixth Gun. Ces titres phares sont de l’or en barre, hi ha pieds tendres !

Chronique de Vincent Lapalus.


©Urban Comics, 2025.

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