Si le sujet de cette bande dessinée peut paraître sensible, Sixtine Dano a su retranscrire avec finesse les témoignages des personnes qu’elle a sollicitées pour réaliser Sibylline chroniques d’une escort girl aux éditions Glénat. Six jeunes femmes et un homme lui ont raconté comment, alors qu’ils n’avaient que 15-17 ans, ils en sont venus à vendre leur corps et un bout de leur âme encore bien fragile, pour arrondir des fins de mois et vivre un tant soit peu. Elle a également recueilli les propos de l’un de ces « Sugar daddy », qui a eu la volonté de se confier et de parler de son expérience. Ce récit en est librement inspiré.
Raphaëlle a 19 ans quand elle se rend à Paris pour entamer des études en architecture. Ses parents lui ont loué une petite chambre de bonne et contribuent financièrement à son quotidien. Très vite, elle se rend compte que l’apport pécunier qu’ils lui accordent ne suffit pas à couvrir les frais de scolarité. Les profs demandent aux élèves d’acquérir des ouvrages de référence qui coûtent cher et le matériel dont ils ont besoin pour composer des maquettes n’est pas donné.
Pour arrondir ses fins de mois, elle dégotte un job de serveuse dans un bar. Elle comprend rapidement que cumuler les heures de cours et son taf est compliqué. Elle passe une bonne partie du cursus à dormir. Heureusement, il y a sa camarade Leila, qui la couvre et lui apporte un appui considérable. Rayonnante et débordante de vie, elle lui transmet l’énergie qui lui manque.
N’arrivant plus à concilier les deux activités, elle démissionne. Dans un moment d’égarement, elle surfe sur un site de rencontre et se trouve sollicitée par un gars qui lui propose, en premier lieu, de se voir pour boire un verre et, en deuxième, une rencontre tarifée. Elle commence par refuser. Se retrouvant sans ressource, Raphaëlle reprend contact avec lui et convient d’un rendez-vous. Le tête-à-tête a lieu dans un hôtel particulier privé, où des « types » de la bonne société et des « courtisanes » désemparées se retrouvent. Ce premier pas dans une relation rémunérée et sans lendemain n’est pas à ses yeux si terrible que ça. Il n’en faut pas plus pour qu’elle estime qu’elle pourrait recommencer.
Elle se confie à son amie, s’inscrit sur la plateforme et se métamorphose en Sibylline.
L’autrice, pour agrémenter son histoire a sorti sa plus belle plume, de l’encre de chine et du fusain. Entièrement imaginé en noir et blanc, son graphisme est à la fois doux et brut. Elle souligne d’un trait plus intense certaines caractéristiques de son héroïne. Ses cheveux de jais, sa robe, ses yeux, ses taches de rousseur et le contour de son corps. Cela lui confère une prestance toute particulière. Le recueil est traversé de planches réalisées au crayon de bois et souligne ces brèches dans les temps comme si nous étions dans un rêve. L’assemblage de ces deux techniques embellit l’album et lui donne un éclat raffiné.
Sixtine Dano nous expose avec pudeur et réalisme à quel point notre jeunesse désorientée peut parfois prendre de mauvaises décisions et s’infliger des blessures qu’elle ne devrait pas à cet âge. Ce qui peut sembler n’être qu’un jeu insignifiant peut se révéler être une impitoyable brûlure dont la cicatrice aura un impact à tout jamais. A nous parents d’être présents et de les orienter dans ce voyage marquant qu’est l’apprentissage de la vie. Loin des yeux ne doit pas forcément vouloir dire loin du cœur…
Chronique de Nathalie Bétrix


© Glénat, 2025.