Le partage des mondes

Et si on supprimait les frontières ? Il n’y aurait qu’un seul pays et plus de guerre… Mais ce n’est pas le sens de l’Histoire. Les tyrans ont soifs de conquête, et n’ont que faire des cauchemars des enfants. Avec « Le partage des mondes », l’auteur belge Olivier Grenson nous a offert une pépite de 240 pages, superbement dessinée, totalement pertinente sur le fond, et sélectionnée en 2024 au prix Rossel et au prix Cheverny de la BD d’histoire. Il a choisi de nous raconter un épisode décisif de la Seconde Guerre mondiale, à hauteur d’une enfant, perdue au milieu des bombardements de Londres. L’album est tellement fort et magnifique qu’il a fait l’objet de deux expositions à BdBoum : l’une, colorée, durant le festival ; l’autre, plus sombre, au centre national de la résistance de Blois. En effet, lorsque le jardinier veuf Isaac trouve la petite fille, désorientée, il va la prendre en charge, l’amener dans l’abri d’un métro. Et que faire avec une fillette apeurée, isolée, alors que chaque nuit apporte sa pluie de bombes et son lot de terreur ? Lui raconter de belles histoires d’arbre magique ! Et c’est ainsi que se crée un subtil équilibre, où aux planches sombres du Blitz répondent d’extraordinaires planches colorées. La fillette peut s’échapper dans son monde façon Alice au pays des merveilles ou Peter Pan – James Barrie et Lewis Carroll font d’ailleurs partie des personnes à qui l’album est dédié. L’espoir est là, et le courage et la persévérance des Anglais finit par payer. Le roman graphique, édité par Le Lombard, est extrêmement touchant et empli d’humanité. C’est également un conte écologique, où seule la résistance d’une héroïne peut éviter le pire. Sachez qu’il est accessible à un large public ; mon fils de 7 ans et demi m’a réclamé de lui relire récemment.

Olivier Grenson rend un hommage riche à six géants de notre enfance, nommés en dernière page. L’évocation d’Isao Takahata nous rappelle que Rebecca, le personnage qui prend corps petit à petit dans les dialogues entre Isaac et Mary, est une princesse rebelle, aussi soucieuse de la nature que Nausicaä ; et que Mary est aussi courageuse que les protagonistes du tombeau des lucioles. Ici, l’optimisme est de mise, quand bien même l’appartement d’Isaac est éventré. Comme Wangari Muta Maathai ou Julia Butterfly Hill (également nommées par l’auteur), Rebecca redonne sa place à la nature. Ainsi le jardinier transmet son savoir sur le cycle de la vie, où une graine suffit pour faire revenir le végétal dans un paysage détruit. En parallèle, il jongle pour tenter de retrouver la famille de Mary, dans le chaos londonien – et croisera même Churchill, soutenant son peuple sur le terrain. L’échange entre le vieil homme et la jeune fille donne à chacun la force pour traverser ces jours ténébreux, une précieuse amitié se crée.

La partie contée apportent la juste dose de douceur à l’album, par de très riches couleurs. Les scènes de bombardement sont littéralement à couper le souffle, avec quelques scènes très dures, mais parfaitement exécutées. Un crayonné noir vigoureux souligne les scènes intenses d’aviation, de nuit, la fumée, les décombres. En contraste, la plongée dans l’imaginaire offre, au sein de planches très généreuses, un univers magique, poétique, incroyable. Mary suit un chat tigré, qui nous fait un joli clin d’œil au Chat du Cheshire d’Alice, avec ses rayures colorées et ses yeux malicieux. L’aquarelle en couleur directe enflamme les cauchemars de Mary comme la grande ville. Mais les influences de Grenson lui viennent aussi du cinéma. Et si les oiseaux ressemblent la nuit à ceux d’Hitchcock, ils seront avec les arbres source de résilience et retour à la paix.

L’histoire a un côté universel (on peut aussi se souvenir de Narnia, ou de l’histoire sans fin), et terriblement actuel. On pense bien-sûr aux enfants palestiniens, ukrainiens… Alors qu’approchent les trois ans de l’invasion de la Russie, n’oublions pas les combattants en Ukraine, qui résistent comme les Anglais ont résisté au nazisme. Nous leur devons beaucoup.

Chronique de Mélanie Huguet.

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©Le Lombard, 2024.

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